Nous étions deux gamins. Ce qu'il y a de bien quand on a un partenaire, c'est que l'on partage tout ensemble : le stress des compétitions, la fatigue des entraînements, nous pouvions toujours compter l'un sur l'autre. La musique faisait vibrer mon coeur et mon âme. Le grand sourire de Louca me donnait tellement d'énergie ! Une seule mélodie peut me faire danser, une seule mélodie peut me faire vibrer, une seule mélodie peut m'emporter ailleurs. On peut écouter des chansons, en les adorant du plus profond de son être, mais il y a une différence entre aimer la musique et la vivre. Il fallait penser au moindre détail, une seule erreur, en compétition, pouvait nous être fatale. Christelle avait modifié notre emploi du temps, en intensifiant nos entraînements. Désormais, nous travaillions également le dimanche. Je commençais à trouver mon rythme entre le lycée et la danse sur glace, ma moyenne s'était stabilisée aux alentours des onze, qui n'était pas faible, mais qui était largement plus basse que celle de ma vie d'avant. Ma vie d'avant. J'avais l'impression que c'était une autre époque, le quotidien d'une autre fille. Des mois auparavant, je ne savais pas où j'allais, quel serait mon avenir. Aujourd'hui, tout était clair, je voulais patiner, j'en avais besoin, plus comme un simple hobby mais comme mon travail, mon mode de vie. Christelle nous avait bien fait comprendre que si nous voulions nous lancer en carrière professionnelle, le parcours serait sûrement compliqué et épuisant, aussi bien physiquement que mentalement, mais nous étions tous les deux prêts et motivés comme jamais.
- Pas mal, lâcha Christelle d'un air pensif alors que nous venions de terminer d'exécuter les quelques pas qu'elle venait de nous montrer.
- Pas mal ? C'est tout ? s'agaça Louca.
- Il manque quelque chose. J'aimerai ajouter un porté.
- Encore ? Mais cette chorégraphie est suffisamment complexe comme ça, non ? répliquai-je.
- Je croyais que vous étiez déterminés à travailler ? rétorqua-t-elle. Je suis votre chorégraphe, faîtes-moi confiance, vous pouvez le faire. Je veux de la grâce, de la légèreté et de la romance ! Après la deuxième série de twizzles et avant votre désynchronisation, voilà où il sera ce porté. Vous allez essayer tout de suite, sur les tapis de gym.
Christelle nous expliqua alors en détail ce qu'elle attendait de nous. Louca et moi hochèrent la tête, avant de nous mettre en place. Je devais d'abord donner une forte impulsion sur le sol pour me lancer dans ses bras, je l'avais déjà fait plus d'une fois pour d'autres portés, ensuite il me fallait positionner mon pied gauche en haut de sa cuisse droite et m'élever, tel un oiseau prenant son envol, tandis que Louca me tenait la jambe pour que je me maintienne plusieurs secondes dans cette position. Christelle voulait que tout se passe ainsi, mais tout ne se passa pas comme prévu. En effet, le début fut parfait, cependant, au moment où je voulus me lever, je compris que je n'en étais pas capable. Louca s'effondra en même temps que moi.
- Iris, qu'est-ce qui s'est passé ? demanda Christelle, visiblement contrariée.
- Je n'y arrive pas ! Pourquoi vous voulez toujours en faire plus ? Je suis désolée de vous décevoir, mais vous me surestimez ! m'exclamai-je, en me relevant péniblement.
Christelle eu un mouvement de recul.
- Qu'est-ce qui te prend ? Cette figure est certes difficile, mais tu as largement les capacités pour la réussir. Tu ne vas tout de même pas abandonner dès la première chute ?
Je parvins à retrouver mon sang-froid. Je m'excusai auprès de Christelle pour mon comportement, et j'aidai Louca à se relever, toujours un peu sonné : il faut dire que j'étais tombée lourdement sur lui. Nous avons repris nos positions respectives. Néanmoins rien n'y fit, chaque essai fut un échec ce matin-là. Je perdais à la fois patience et confiance. Christelle insistait pour que nous parvenions à faire cette figure et elle ne lâcherait pas l'affaire. À la fin de l'entraînement, en enlevant mes collants, je vis plusieurs bleus commencer à apparaître sur mes genoux. Epuisée comme je l'étais, je ne savais pas de quelle manière je parviendrais à enchaîner avec sept heures de cours. Les sacs au poignet, je courus sur le trottoir glissant. Les nuages étaient menaçants, le vent soufflait férocement, une tempête se préparait. Je parvins devant ma classe au moment précis où la prof faisait rentrer les élèves, à bout de souffle je me traînai jusqu'à ma place. L'avantage de se trouver au fond de la classe près de la fenêtre, c'est que personne ne s'occupe de toi, ou beaucoup moins en tout cas et je peux tranquillement regarder les arbres s'agiter, les gouttes s''écraser sur les vitres, le TGV plus loin s'arrêter à la gare. Plongée dans mes rêves et mes pensées noires après un entraînement désastreux, le cours se déroula plus rapidement. Puis la sonnerie retentit, j'eus un petit sursaut : je n'avais pas vu le temps passer. Alors que je rangeai mes affaires, Marine s'approcha et d'un mouvement brusque fit tomber ma trousse par terre.
- Oh excuse-moi, je n'avais pas vu que tu étais là, tu es tellement invisible, se moqua-telle. Je crois que tu pourrais disparaître, personne ne s'en rendrait compte.
Le pire dans tout cela, c'est qu'elle avait raison. Je m'étais certes réconciliée avec Candice, mais ce n'était plus comme avant, et ça ne le serait plus jamais. Elle s'était fait de nouveaux amis et avec mes nombreux entraînements, je n'avais plus de temps pour la voir à l'extérieur du lycée. Marine s'en alla en riant, avec ce rire que l'on pouvait reconnaître à plusieurs mètres de distance. Alors que je ramassai mes crayons, accroupie sur le sol, une voix s'éleva derrière moi :
- Attends Iris, je vais t'aider.
Sa voix douce, son regard...C'était la première fois depuis bien longtemps que Mathias m'adressait la parole, surtout pour me dire une chose aussi gentille. Sentant un piège, je me relevai d'un bond.
- Qu'est-ce que tu veux ? demandai-je violemment.
- Je cherche juste à t'aider, Iris, fit-il calmement.
- Merci mais non merci, répliquai-je. Je n'ai besoin de l'aide de personne. Et surtout pas de la tienne.
J'attrapai ma colle et mes ciseaux qui gisaient toujours par terre, rassemblai mes affaires et sortit à toute vitesse de la classe, le laissant pantelant. J'étais troublée : il avait l'air si sincère. Je ne pus effacer de mon esprit de toute la journée son beau visage triste .
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La sueur perlant encore sur mon front et dans mon dos, je jetai mon sac dans l'entrée et lançai mon manteau sur le canapé. L'entraînement avait été intensif ce soir-là. Christelle avait ajouté des mouvements de bras des plus complexes, il nous faudrait toute notre énergie pour parvenir à exécuter ce programme rythmique comme le voulait Christelle. Je m'apprêtai à m'enfermer dans ma chambre, pour commencer mes leçons, quand je vis mon père adossé sur le petit bar de la cuisine ouverte, un thé à la main.
- Papa ? Tu es déjà rentré ?
Il hocha la tête, presque machinalement.
- Est-ce que tout va bien ? Où est maman ? Ta journée ne s'est pas bien passée ?
Il poussa un soupir.
- Ta mère est partie chez tes grands-parents, elle...elle avait besoin de réfléchir.
- Quoi ? Vous allez vous séparer ?
- Non, ne t'en fais, je crois que...je crois qu'elle a besoin de digérer tout ce qui s'est passé ces dernières semaines, dit-il avec un petit sourire triste.
Maman avait quitté la maison. Mon père tentait de ne rien laisser paraître de son émotion, mais je voyais bien qu'il était vraiment préoccupé, j'insistai donc :
- Je vois bien qu'il y a autre chose, papa.
Ses doigts se crispèrent sur sa tasse.
- Demain...je...bégaya-t-il. Demain je vais devoir fermer le restaurant. Définitivement.
- Ce n'est pas possible ! m'exclamai-je. Les affaires ne peuvent pas aller si mal que cela ! Il y a forcément un moyen de...
- Non Iris. Un nouveau fast-food vient d'ouvrir. Je n'ai presque plus aucun client. C'est inutile.
- C'était ton rêve ce restaurant ! Tu ne peux pas tout abandonner comme ça !
- J'ai déjà trouvé un emploi, à l'usine d'à côté, tout va bien se passer, affirma-t-il en me tapotant l'épaule.
- Mais...
- Concentre-toi sur tes études et surtout ta passion, le reste n'a aucune importance.
Je ne pensais pas comme mon père. Il avait beau dire que tout irait parfaitement bien, je savais que fermer son restaurant c'était une réelle catastrophe pour lui, il y avait consacré toute sa vie.
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Un vent glacial
AdventurePeu de gens savent ce qu'est une passion. Seuls ceux qui en ont une comprennent vraiment le sens de ce mot. Depuis ma toute petite enfance je ne pense qu'à patiner. La danse sur glace est ma raison de vivre. Et pourtant deux garçons vont vouloir cha...