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L'hiver approchait. De petits tas de feuilles mortes se formaient ici et là. L'herbe était humide. La fraîcheur du matin me gelait le visage.
Casque sur les oreilles, j'ouvris la porte de la patinoire. Je venais avant l'heure d'ouverture pour avoir la glace tout à moi. Je retirai ma veste, enfilai mes patins : les gestes habituels du vendredi matin. J'avançai vers le portillon, respirai un grand coup et me lançai. Voilà, j'étais enfin seule sur la glace, et j'y étais bien. Sentir les lames glisser, cet air frais qui me fouettait le visage, l'impression que plus personne ne pouvait m'arrêter. Je pris un peu plus de vitesse, puis tout devint flou autour de moi. Je me suis laissée porter par la musique. J'oubliai tout. J'étais dans un autre monde. Le mien. Patiner était ma raison de vivre...Je ne faisais plus qu'un avec la glace. Chacun de mes mouvements était enregistré dans ma tête depuis longtemps, je n'avais pas besoin de penser au pas que je faisais, tous ces gestes étaient devenus une habitude, presqu'une évidence. Cette chorégraphie je l'avais moi-même inventée et exécutée une centaine de fois.
Au bout d'un moment, je m'arrêtai et regardai l'horloge. Il était temps de partir. Mais, si je devais choisir entre le lycée et la patinoire, la question aurait été vite réglée. Je sortis de la piste, mis ma veste, ôtai mon casque et enlevai mes patins. Je passai devant le comptoir où Samuel - qui travaillait à la patinoire - était entrain de me regarder d'un air rêveur et un sourire malicieux aux lèvres.

- À vendredi, oiseau de glace, me disait-il alors que je poussais la porte de la patinoire.

Oiseau de glace. Il m'appelait comme ça parce qu'il disait que je volais au-dessus de la glace quand je patinais. J'adorais ce surnom. Samuel était un ami depuis longtemps et il m'avait repéré dès le premier jour où j'étais montée sur la piste. Et croyez-moi, ça ne datait pas d'hier !

- À vendredi Samuel !

Et je suis sortie de la patinoire.
Le soleil était monté. Les premières voitures étaient déjà arrivées sur le parking de la patinoire. J'avais toujours eu du mal à partager la glace. Heureusement, j'avais rencontré Samuel. Je me rappellerai de la première fois que je l'avais vu...

Je m'étais précipitée dans la patinoire, impatiente de retrouver la glace, comme tous les jours. À cette époque, je commençai à apprendre quelques mouvements de danse sur glace. J'essayai alors de patiner en arrière, mais je dois avouer que je manquais cruellement d'entraînement et de confiance en moi. Alors que je m'apprêtais à tomber sur les fesses pour la dixième fois, Samuel m'avait rattrapé de justesse. Je ne le connaissais pas à ce moment-là, mais je compris rapidement qu'il deviendrait mon ami. Bien sûr, je n'imaginais pas tout ce qu'il fera ensuite.

- Si tu veux pouvoir patiner en arrière, ton dos doit être parfaitement droit et tes pieds en forme de toit de maison, m'avait-il dit. Regarde, tu vois !

Il m'avait montrer différentes techniques, je l'avais imité. En quelques minutes, j'appris plus avec lui qu'en une semaine toute seule. C'est lui qui m'avait appris les bases, lui qui avait vu mon évolution sur la glace. Personne d'autre ne m'avait aidé. À partir de cet instant, il m'avait pris sous son aile. En tant que nouveau dirigeant, il avait pu m'ouvrir les portes de la patinoire. Depuis, je m'entrainais une fois par semaine. Il m'avait conseillé au début, maintenant il ne cessait de me regarder patiner, silencieux comme absorber par mes mouvements.

J'étais tellement plongée dans mes pensées que je n'avais même pas réalisé que j'étais entrée dans le lycée. Alors que je traversai le hall au pas de course, ma meilleure amie m'attrapa par la manche.

-T'étais où ? T'as failli être en retard ! C'est chaque vendredi la même chose avec toi !

C'était la première fois qu'elle me parlait sur ce ton. Nous montâmes les marches jusqu'au troisième étage.

- Qu'est-ce qui t'arrive Candice ? m'inquiétai-je. Quelque chose ne va pas ?

- Il se passe que j'en ai assez de ta patinoire, lâcha-t-elle. Tu passes ta vie là-bas et quand on est toute les deux tu ne parles que de ça !

- Oh ! Et bien, excuse-moi, je n'avais pas fait attention, répondis-je. Mais tu sais pour moi, la danse sur glace c'est...

- Ta raison de vivre, soupira-t-elle, agacée. Tu me répètes ça depuis qu'on est toute petite, tu ne peux pas changer de registre une fois de temps en temps ?

Je m'arrêtai au milieu des escaliers, Candice se tourna brusquement vers moi.

- Iris ! Dépêche-toi, bon sang ! s'écria-t-elle.

Je restai abasourdie par ce changement soudain de comportement, je ne l'avais jamais vu dans cet état.

- Je ne comprends pas, dis-je. Pourquoi t'énerves-tu aujourd'hui précisément ?

Elle soupira.

- Je ne te reconnais plus Iris, m'avoua-t-elle. Tu as beaucoup changé et c'est de pire en pire. J'aimerais que notre amitié redevienne comme avant, lorsque la danse sur glace n'était qu'un simple loisir pour toi.

- Mais nous avons grandi Candice, ça ne sera plus jamais pareil.

Cette réalité sembla la mettre en rage. Alors que je m'approchai d'elle pour essayer de la calmer, elle se mit de nouveau à monter les marches.

- C'est vraiment une perte de temps. En plus, le patinage n'est même pas un sport.

Elle me regarda droit dans les yeux, je ne bougeai pas. Elle commençait sérieusement à m'énerver.

- Une passion n'est pas une perte de temps. Et si tu n'étais pas contente, t'avais qu'à y aller. T'as quand même pas besoin de moi pour monter en cours, si ?

J'avais dit cela froidement. Je voyais bien que je l'agaçais moi aussi.

- Non mais ce n'est pas vrai ! Tu préfères rater tes études pour patiner ?

- Je suis assez grande pour savoir ce que je dois faire ou ne pas faire ! Et puis t'es pas ma mère Candice !

Sur ces entrefaites , je suis partie, excédée par ma meilleure amie. Alors comme ça, la danse sur glace n'était pas un sport ? J'aimerais bien la voir sur des patins, pour rigoler un peu. Malgré tout, elle avait raison sur une chose : nous ne nous comprenions plus.
Alors que je fonçais, tête baissée, vers ma salle de classe, je heurtai violemment quelqu'un à l'épaule.

- Salut, me fit Mathias en me dévisageant.

Je crus que mon cur allait s'arrêter. Le garçon le plus connu du lycée venait de s'adresser à moi, l'inconnu de service ! Je sentis que je devenais rouge comme une tomate. Nous sommes restés ainsi, l'un en face de l'autre. Les derniers retardataires se pressaient dans le couloir. Je savais qu'il fallait que je parle, même juste un "salut" ou "excuse-moi" mais aucun son ne sortit de ma bouche.
Au bout d'un moment qui me sembla durer une éternité, il s'en alla avec une tête qui semblait dire "je suis tombé sur la fille la plus bizarre de ce lycée".
Je le regardai s'en aller. J'ai dû passer pour une imbécile !
Je poursuivis mon chemin vers ma classe, encore toute chamboulée par cette rencontre.

Un vent glacialOù les histoires vivent. Découvrez maintenant