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Ce matin, dans le gymnase, nous commencions par un entraînement hors glace. Ce n'était pas mes séances de sport préférées, mais elles faisaient parties de mon quotidien désormais. Pour pouvoir réaliser les figures complexes notamment, nous devions démarrer sur des tapis. Alors que j'enfilais mes collants tant bien que mal, je réalisai soudainement que j'avais de la chance de vivre tout ça. Que tout le monde n'avait pas l'opportunité d'exercer sa passion comme moi. Je venais de comprendre tout cela, surtout maintenant que mon père me soutenait dans ce rêve fou. Il n'y avait plus personne pour me dire ce que je devais faire. Emma continuait peut-être de se moquer de moi, mais depuis que nous avions atteint la seconde place, juste derrière elle, au dernier tournoi, je sentais qu'elle avait peur que nous la battions. Les championnats de France approchaient à grand pas, je devais me concentrer, c'était la chance de ma vie. Si nous gagnions, nos carrières seraient lancées et nous pourrions ainsi réellement passer professionnels. Ma blessure était guérie, je n'avais donc plus de raison de m'en faire. Avec un large sourire, je finis de m'habiller puis rejoignis Christelle et Louca dans la salle d'entraînement qui était à moitié plongée dans la pénombre. À travers les grandes fenêtres, les étoiles disparaissaient peu à peu, elles seraient bientôt remplacées par les premiers rayons du jour. L'odeur des tapis de gym, le grincement du parquet sous les pieds, toutes ces choses qui faisaient de l'entraînement un moment unique. Le gymnase était divisé en deux : une partie pour la danse, une autre pour les figures plus acrobatiques. Christelle appuya sur un interrupteur et les lumières éclairèrent la salle, puis elle nous donna les consignes.

- Nous allons travailler le programme libre aujourd'hui. J'ai modifié plusieurs choses dans la chorégraphie, nous allons voir ça maintenant. En place.

Nous nous mîmes au centre de la piste de danse. Christelle alluma la sono.

- Je vais vous montrer les pas. Et je veux de la romance dans chacun de vos mouvements. Vous devez danser avec tout votre coeur, suis-je bien claire ?

Louca et moi hochèrent la tête. Ce jour-là, nous refîmes le début de notre programme une dizaine de fois, jusqu'à ce qu'il soit parfait. Mes yeux plongés dans les siens. Se laisser porter par la musique, tout en effectuant des gestes précis et techniques. Les mouvements de bras et de jambes devaient être synchronisés. Les regards, les mouvements, les sentiments : il fallait absolument que tout soit impeccable, sinon nous devions recommencer encore et encore. Jamais nous n'avions autant transpiré durant un entraînement, nous étions épuisés, à bout de forces. Lorsque, enfin, Christelle décida que nous pouvions aller nous changer, Louca et moi nous sommes écroulés de fatigue.

- Hydratez-vous bien, je veux vous retrouver en pleine forme ce soir ! s'exclama Christelle, alors que nous nous traînions jusqu'à nos vestiaires respectifs.

Je pris une douche rapide, enfilai mes collants, ma jupe et mon pull en laine avant de sortir en trombe du gymnase. Malgré la gelée sur le trottoir, je courus, craignant d'arriver une nouvelle fois en retard au lycée. Christelle nous avait de nouveau retenus plus d'une demi-heure par rapport aux horaires habituels ! Alors que je passais à toute vitesse devant la patinoire qui, à cette heure, devait être fermée, je m'arrêtai net. J'entendais de la musique : quelqu'un patinait. Samuel ? Impossible. Le seul sport de glace qu'il savait pratiqué était le hockey. Pourtant il était le seul à avoir les clés pour pouvoir entrer. Mais alors, qui d'autre ? La curiosité était trop forte. Je tirai la porte et jetai un oeil à l'intérieur. Mon coeur manqua un battement. Bouche bée, je me glissai dans la patinoire. Louca. Nous nous étions entraînés des heures ensemble, depuis plusieurs mois, mais jamais je ne l'avais vu patiner seul. C'était...époustouflant. Il dansait avec son coeur. Il était comme hors de lui. Samuel le regardait, accoudé à la rembarde, l'air rêveur.

- Il est incroyable ce garçon, murmura-t-il au moment où je m'approchai de lui.

- Oui...On dirait qu'il vit la musique, il est exceptionnel !

- Iris, lorsque vous patinez ensemble, nous ressentons exactement la même chose. Vous avez tous les deux quelque chose d'unique, c'est pour cela que vous formez un si beau couple sur la glace.

Louca dut entendre cette dernière phrase puisqu'il arrêta de patiner pour venir nous rejoindre. Samuel le félicita chaleureusement. Puis, mon partenaire se tourna vers moi.

- M'accorderiez-vous une danse, mademoiselle ?

Je lui souris. J'ouvris mon sac de sport, saisis, puis enfilai mes patins. Louca me tendit sa main pour que je puisse enjamber la rembarde. Une fois sur la piste, je ne pensais plus du tout au lycée, mon esprit était ailleurs, il errait sur la glace. Patiner. Patiner jusqu'à ne plus avoir de souffle. Cette passion qui fait vibrer mon corps, mon coeur et mon âme. C'est comme ça que je voulais vivre : les entraînements jusqu'à tard le soir, les applaudissements du public, les nuits courtes, les journées longues, Louca...Je voulais être la fondatrice de mon avenir, pas la victime, comme ma mère en avait l'ambition. J'en étais persuadée désormais, ma vie ne serait pas sur les bancs de l'université, mais sur la glace ! Alors que je pensais à tout cela en patinant avec Louca, j'entendis un cri qui résonna dans toute la patinoire. Or ce cri, je le connaissais bien. Louca et moi nous arrêtâmes et tournâmes la tête vers l'origine du bruit. Elle était là, les larmes perlant sur ses joues, la main couvrant sa bouche, secouée par les sanglots. Nous sortîmes de la piste. Mon coeur battait à tout rompre.

- Candice ? Candice, mais qu'est-ce que tu...?

Je n'eus pas le temps de finir ma phrase, elle me serra dans ses bras. Je ne comprenais pas, que lui arrivait-il soudainement ? Je ne savais pas, mais à cet instant précis, la seule chose qui comptait c'était que nous nous étions enfin retrouvées, et je réalisais alors à quel point elle m'avait manqué. Nous pleurions de bonheur, même si tout cela méritait une explication.

- Candice...repris-je en la repoussant gentiment. Pourquoi ?

Elle mit plusieurs secondes à me répondre. Ses mains tremblaient.

- Je...Je suis tellement désolée ! Je me suis complètement trompée. Pardonne-moi. J'ai fait n'importe quoi. Je crois que j'étais un peu jalouse de toi. Tu es si heureuse, tu as trouvé ta passion, alors que moi j'ai toujours eu peur de me lancer. Hier, j'ai appris qu'un casting pour le premier rôle d'un petit film avait lieu dans notre ville. Ils recherchent une actrice de notre âge. Tu sais que ça a toujours été mon rêve d'être comédienne, mais...J'ai tellement peur de me tromper. Et si je ratais complètement le casting ? Je me ridiculiserai. J'aurai honte. Non, vraiment, je ne peux pas. Alors, j'ai pensé que la seule personne qui pouvait me venir en aide, c'était toi. Et je me suis dit que cela serait aussi peut-être un moyen de me rapprocher de toi. Je t'ai attendue devant les grilles du lycée, ne te voyant pas arriver, je suis venue ici. Quand je t'ai vu patiner comme ça, avec lui, j'ai compris que la danse sur glace n'était pas qu'un hobby pour toi. Je me trompe ?

L'émotion me submergea d'un seul coup, tel un raz-de-marée. Pendant des mois, j'avais été seule. Mon père me soutenait depuis quelques semaines, et maintenant Candice me comprenait, je n'en revenais pas. Nous nous tombâmes de nouveau dans les bras. Nous relâchâmes enfin notre étreinte, Louca s'approcha.

- Candice, la dernière fois que l'on s'est vu, ça ne s'est pas très bien passé...commença-t-il.

- C'est le moins que l'on puisse dire, s'amusa Candice. On efface tout et on recommence ?

Louca acquiesça, visiblement soulagé. Je pris la main de mes deux amis et lançai, le sourire aux lèvres :

- Il est temps pour nous trois de réaliser nos rêves.

Un vent glacialOù les histoires vivent. Découvrez maintenant