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Je laçai mes patins, avec des gestes fébriles. Je me levai et je sentis alors que mes jambes étaient en cotons. Je crus un instant que je ne tiendrai jamais debout. Qu'est-ce qui m'arrivait ? J'étais stressée. Je paniquais parce que c'était ma première compétition, la première fois aussi que j'organisais quelque chose d'aussi énorme derrière le dos de mes parents. Toutes les autres patineuses étaient sorties des vestiaires, mais je n'y arrivais pas. Elles avaient l'air si détendues ! Bientôt, je devrais sortir. Je devrais aller danser sur la glace avec Louca. Rien d'exceptionnel en apparence. Sauf que cette fois-ci, il y avait un public. Je ne pourrais jamais faire ça devant autant de monde. J'étais complètement paralysée par la peur. Mon coeur battait à tout rompre. Ma respiration était saccadée. Les chorégraphies devaient se succéder sur la piste. Bientôt, ce serait notre tour. Louca m'en voudrait-il si je refusais de sortir ? Bien sûr qu'il m'en voudrait, nous nous sommes entraînés des semaines, je ne pouvais pas abandonner maintenant. Mais je savais au fond de moi que ma timidité et mon stress prendraient le dessus sur ma passion pour le patinage. Non, vraiment, je n'en étais pas capable. Comment l'annoncer à Louca ? À Christelle ? Je me rassis sur le banc, les mains tremblantes. Puis, j'entendis des applaudissements retentirent en bas. Une soixantaine de personnes étaient dans les gradins, à en juger par la clameur. C'était beaucoup trop. Inutile de me tourmenter, je ne descendrais pas. D'autant plus qu'il n'y avait personne pour me rassurer. Cela me rappelait ce moment de solitude que j'avais ressenti pendant le match de hockey, avant que je ne danse au milieu de tous. J'avoue que je ne savais pas d'où j'avais trouvé ce courage, en tout cas aujourd'hui je ne l'avais plus. Et j'étais seule. Complètement seule.
Soudain la porte des vestiaires s'ouvrit.

- Qu'est-ce que tu fabriques ? On t'attend, c'est au tour d'Emma et de son partenaire de passer, tu ne veux pas voir ? me demanda Louca.

Je n'arrivais pas à lui parler.

- Iris ? dit-il en s'approchant de moi. Ça va ?

- Je...suis complètement paniquée Louca, avouai-je.

- Eh ! Mais ce n'est pas grave tu sais. Ça arrive à la plupart des patineurs lors de leur première compétition. Viens.

Il me prit la main et me fit sortir des vestiaires. Lorsque je vis le monde qu'il y avait je crus m'évanouir en plein milieu de l'escalier : les spectateurs étaient deux fois plus nombreux que ce que j'avais pensé. Mais Louca me tint fermement et nous nous approchâmes de la piste. Emma et son partenaire étaient déjà à la moitié de leur chorégraphie. Leur musique cristalline avait envouté tout le monde dans la patinoire. Leurs mouvements étaient synchronisés, parfait, ils étaient si à l'aise sur la glace que cela me donnait encore plus envie de partir. Je n'avais pas son niveau, c'était certain.
Depuis qu'elle s'était moquée de moi lors de ma médiocre performance pour attirer l'attention de Christelle, j'avais une rage au ventre. Malheureusement, aujourd'hui cette rage avait disparu. J'étais découragée.
Le public applaudissait. Emma et son partenaire saluaient la foule, ils avaient conquis les spectateurs. Je n'étais pas à la hauteur.

- Iris, dit Louca en me prenant le bras. C'est à nous Iris. Tu es prête ?

Je ne savais pas quoi dire. J'avais horriblement chaud et il me semblait que ma tête allait exploser.

- Tout va bien se passer, chuchota-t-il. Je suis avec toi.

Alors il me prit la main et m'emmena vers l'entrée de la piste. Je traversais la foule comme un fantôme, comme si ce n'était pas vraiment moi qui était là mais quelqu'un d'autre.

- Maintenant nous allons accueillir un tout nouveau couple de patineurs, lança le présentateur à son micro. Sur la piste, Iris Leblanc et son partenaire, Louca Martin !

À l'appel de nos noms, nous nous somme élancés sur la glace. Toutes ces personnes autour de moi continuaient à me donner le vertige. Je voulais disparaître. C'était évident, après avoir vu Emma et son partenaire, le public serait forcément déçu de notre performance. J'avais de plus en plus l'impression que mes jambes ne tiendraient jamais le coup. Nous nous sommes mis en position de départ. J'entendis Louca me murmurer :

- Respire.

Mais je n'arrivais plus à me calmer. Dès que la musique commencera, je resterai cloué sur place, complètement terrorisée devant ce monde fou. Dans quelques secondes, je gâcherai notre entraînement, le spectacle et surtout, je décevrai Louca.
Tout à coup, la chanson débuta et - c'est peut-être un peu cliché de le dire - pourtant, ma peur se volatilisa, comme par magie. Je me déplaçai sur la glace au rythme de la musique en oubliant le nombre de personnes qui nous regardait. Je m'imaginais à un simple entraînement, détendue et concentrée à la fois. J'eus également une étrange sensation pendant notre chorégraphie, je ne sais pas trop comment l'expliquer...je ressentais comme une connexion entre Louca et moi. Je ne m'en étais jamais rendue compte auparavant. Mais chacun de nos mouvements me semblait grâcieux et, sans même croiser le regard de Louca, je connaissais ses moindres gestes. L'entraînement avait payé. La danse sur glace avait toujours fait partie de ma vie, grâce à elle j'arrivais à exprimer ce que je ressentais. Mes sentiments se libéraient sur la glace. Je me sentais vivante. J'existais vraiment sur cette piste, avec la musique qui résonnait dans toute la patinoire.
La chanson était terminée. Position finale. Mon regard dans le sien. Puis, les applaudissements. Des centaines d'applaudissements. Certes les spectateurs ne se levaient pas comme lorsque Emma était passée, mais ces applaudissements valaient toutes les médailles du monde. J'en avais les larmes aux yeux. Louca me serra dans ses bras. Je crois que lui aussi était ému. Nous avons salué la foule et nous sommes sortis de la piste. Je n'en revenais toujours pas de ce que j'avais fait ! Pour la première fois de ma vie quelque chose d'incroyable m'arrivait. J'avais le coeur léger. Je ne tremblais plus, j'étais juste...heureuse !
Christelle nous attendait, appuyée à la rembarde. Elle nous tendit nos protèges lames et nous félicita.

- Vous avez fait une belle performance mes enfants, nous lança notre entraîneuse. Bravo, je suis fière de vous !

Les juges allaient délibérer, nous attendions donc nos résultats avec impatience. Nous ne parlions pas, dans ces moments-là, il n'y avait pas grand chose à dire de toute façon.
Soudain, le score s'afficha sur le grand écran de la patinoire. J'en suis restée bouche bée.

- Et c'est un très beau score pour ce couple de patineurs ! s'exclama le commentateur dans son micro. Et ne l'oublions pas, c'est la toute première compétition pour Iris Leblanc. Félicitations à tous les deux !

À ce moment précis, Louca me serra si fort contre lui, que j'en eu le souffle coupé.

- On est troisième ! cria Louca. Iris ! On est troisième !!

J'étais incapable de parler. La troisième place. Nous étions sur le podium ! Ces mots résonnèrent dans ma tête jusqu'à ce que je reprenne l'entière capacité de mes moyens. Alors, je me laissai aller dans les bras de Louca. Je ne voulais plus le quitter. Je voulais rester à ses côtés.
Il restait deux couples à se présenter. Mais Christelle nous répétait qu'elle les connaissait, et qu'ils ne changeraient probablement rien au podium.
Et ce fut bien le cas. La remise des médailles se déroula le soir même. Lorsqu'on me passa la médaille de bronze autour du cou, mon coeur se gonfla de joie et de fierté. Alors que je retournai au vestiaire pour me changer, je croisai Emma dans les escaliers.

- Qu'est-ce qui se passe ? demanda-t-elle d'un air faussement surprise. Pourquoi es-tu si contente ?

- Je viens de finir troisième pour ma toute première compétition, donc oui je suis heureuse ! répondis-je un grand sourire aux lèvres.

À ce moment précis, je n'avais plus peur d'Emma. Je me sentais à sa hauteur, elle ne m'impressionnait plus autant qu'avant. Certes, elle était douée sur la glace. Mais j'étais certaine que je pouvais l'égaler.

- Quoi ? Et c'est ça qui te donne ce petit air supérieur ? se moqua-t-elle. Ça fait des années que je gagne ces tournois et c'est pas fini ! Toi, tu n'as aucune chance tu comprends ? Arrête de t'acharner, tu n'as pas le niveau.

J'essayai de ne pas montrer ma peur mais je n'y parvenais pas. C'était comme si ma confiance d'il y a une minute s'était volatilisée.
Emma s'amusa de ma réaction, puis tourna les talons, hilare.
Ses mots m'avaient blessé. Peut-être avait-elle raison ? Avais-je réellement le niveau pour participer à ce genre de compétition ? Je fus prise de doutes pendant de nombreuses heures.

Un vent glacialOù les histoires vivent. Découvrez maintenant