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Il était près de cinq heures et demie du matin lorsque je suis arrivée à la patinoire. J'ai inséré la clé que m'avait donnée Samuel dans la serrure et je suis entrée.
Un silence inquiétant régnait dans tout le bâtiment. C'était la première fois que je rentrais dans la patinoire sans dire bonjour à Samuel. En effet, lui arrivait à sept heures et demie, j'étais donc seule pour le moment.
Ce matin, d'ailleurs n'avait pas été simple. Tous les jours mon père partait au travail dès cinq heures. Bref, j'avais dû passer par la fenêtre de ma chambre pour quitter la maison sans que papa ne s'en rende compte.
J'ai laissé les clés sur le comptoir de la patinoire, me suis assise dans les gradins et ai contemplé la piste toute lisse.
Samuel m'avait confié le double des clés de la patinoire il y a déjà quatre jours, j'avais mis un certain temps à réfléchir à sa proposition. J'étais restée presque tout le week-end enfermée dans ma chambre, à regarder le plafond en pleurant.
Mais aujourd'hui, j'avais pris mon courage à deux mains. Louca, sa partenaire et son entraîneuse devaient arriver d'ici une demi-heure à la patinoire et il fallait à tout prix que je les impressionne sur la glace pour que je puisse patiner avec Louca et me lancer dans la compétition avec lui.
J'ai ouvert mon sac de sport et ai chaussé mes patins. J'ai descendu les marches des gradins et me suis approchée de la piste. J'ai ouvert le portillon et me suis élancée sur la glace. J'ai d'abord commencé par un échauffement, puis j'ai exécuté quelques-unes des figures que m'avait montrées Louca la dernière fois que nous avions patiné ensemble.
Tout à coup la porte d'entrée de la patinoire s'est ouverte. Trois personnes se tenaient dans l'embrasure de cette dernière, visiblement en grande conversation.

- Arrête de faire la tête, tu veux ?

- Laisse-moi tranquille ok ?

- Elle a raison, Louca ! Tu n'as pas dit un mot de tout le week-end ! Ce n'est tout de même pas notre faute, à moi et à Emma, si ta "copine" n'est pas venue vendredi !

Ils étaient enfin arrivés. Ils ne m'avaient pas encore vue. Et d'après la conversation que je venais d'entendre, Louca m'en voulait pour vendredi dernier. S'il savait à quel point je regrettais ce que j'avais fait.

- Bon, allez vous changer les enfants, les qualifications régionales sont pour bientôt et vous n'êtes pas prêts du tout ! DU TOUT ! Tu entends Louca quand je te parle ?

Ses yeux émeraudes étaient fixés sur moi. Je déglutis avec difficulté. Louca avait l'air à la fois surpris, déçu et furieux. Sa partenaire m'avait vue également. Elle avait de longs cheveux bruns qui descendaient bas dans son dos et une peau blanche. Elle me disait étrangement quelque chose mais je n'arrivais pas à me souvenir où est-ce que je l'avais vue. De toute évidence elle ne comprenait pas ce qui se passait, ni qui j'étais.
Leur entraîneuse ne m'avait pas encore remarquée mais je comptais bien attirer son attention.
J'ai lancé un sourire à Louca, avant de me mettre en position de départ pour ma chorégraphie habituelle. J'avais oublié mon casque et je ne savais pas comment allumer les enceintes de la patinoire. Peu importe, il fallait absolument que je me donne à fond. Alors, j'ai commencé à patiner. C'était très étrange, non seulement de danser sans la musique mais aussi parce que je n'entendais plus personne parler et un silence pesant s'installa. J'ai jeté un coup d'oeil à ce qui se passait hors de la piste au moment où j'effectuais une révérence.
Louca me fixait et ne réagissait pas. Je ne voyais aucune expression sur son visage. Il paraissait complètement vide, sans pensée.
J'ai dévisagé sa partenaire. Elle fronçait les sourcils et ses lèvres formèrent une sorte de grimace. Puis, elle secoua la tête, leva les yeux au ciel et détourna son regard de moi.
Avec un peu d'appréhension, j'ai regardé du côté de l'entraîneuse. Elle était en train de fouiller derrière le comptoir de l'accueil, occupée à chercher je ne sais quoi. Elle ne faisait même pas attention à moi. J'étais déjà à la moitié de ma chorégraphie et elle ne semblait même pas m'avoir vue.
Mon moral retomba d'un coup sec et sans faire attention à mes mouvements, mon pied dérapa dans un tournant. Alors que je tombai à genoux sur la glace, un rire s'éleva des gradins, et en me retournant je vis la partenaire de Louca se tordre de rire en me montrant du doigt. Mon moral redescendit encore plus bas. Je me suis relevée : Louca ne réagissait toujours pas et son entraîneuse lisait une feuille, assise sur un des bancs qui entouraient la piste.
J'ai continué ma chorégraphie mais je désespérais car si je faisais encore la moindre petite faute, je ne pourrais plus jamais patiner avec Louca. Je ne devais absolument plus faire d'erreur. C'était ma dernière chance. Tout cela, à cause de Mathias. Si seulement je ne l'avais pas rencontré, si j'étais restée dans mon coin comme à mon habitude, je ne serais jamais allée à cette maudite fête et je n'aurai pas loupé le rendez-vous avec l'entraîneuse de Louca. Il m'avait pourtant prévenu de ne pas être en retard et moi je m'étais laissée entraîner dans cette fête, avec tous ces imbéciles qui ne comprenaient rien à rien. Absorbée dans mes pensées, je ne fis pas attention à mes pas, ni à la barrière qui se rapprochait dangereusement. J'ai dévié ma trajectoire au dernier moment mais la pointe de ma lame heurta tout de même légèrement la rembarde, ce qui m'a déséquilibrée et m'a complètement effrayée. Je voulus m'arrêter, malheureusement, je me pris une fissure dans la glace abîmée. Je suis alors tombée lourdement sur les fesses. J'ai glissé sur quelques mètres encore avant de complètement me stopper. La première chose que j'ai entendu à ce moment-là, c'était encore ce rire. La partenaire de Louca riait à plein poumons, elle avait les larmes aux yeux et se tenait le ventre tellement elle rigolait. Elle se moquait de moi. J'ai serré les dents.
J'ai jeté un coup d'oeil du côté de Louca et nos regards se sont croisés. Je ne parvenais pas à identifier exactement ce qu'il ressentait à cet instant précis : c'était à la fois de la tristesse, de la déception et du désespoir. Il secoua la tête négativement puis se détourna de moi. Il avait les larmes aux yeux.

- Mais...VOUS N'ÊTES TOUJOURS PAS CHANGÉS ?!! Nous avons perdu presque vingt minutes d'entraînement ! Vous attendez quoi au juste ? Une invitation ? Et puis, où est passé Samuel bon sang ?!

La coach. Ses hurlements me rappelèrent soudainement sa présence. C'était pour elle que j'étais ici, pour lui montrer ce dont j'étais capable et c'était pour elle que je m'humiliais aujourd'hui devant Louca et sa partenaire. Mais lorsque je me suis tournée pour la regarder tout ce que je vis d'elle c'était son dos voûté. Je ne compris pas tout de suite pourquoi elle n'était pas déjà venue sur la glace pour m'aider à me redresser, à me taper dans le dos en me félicitant tout de même de ma performance. J'avais imaginé tout cela depuis le jour où Louca m'avait parlé de son entraîneuse. Je pensais qu'elle m'aurait prise sous son aile et qu'elle aurait voulu m'emmener sur tous les podiums. Je m'étais bercée d'illusions. Elle ne m'avait pas regardée patiner, à aucun moment. Tout ça n'avait servit à rien.
Louca et sa partenaire étaient partis se changer dans les vestiaires et l'entraîneuse était sur son portable et tapait du pied, stressée par l'aiguille de sa montre qui ne cessait de tourner. Je suis restée là, recroquevillée dans un coin à me lamenter sur mon sors.

- Allez, lève-toi, me dit une voix.

J'ai levé mes yeux remplis de larmes vers mon interlocuteur. Samuel me tendait ses mains.

- Laisse-moi, murmurai-je en enfouissant de nouveau ma tête dans le creux de mes genoux. Je suis nulle.

Il s'accroupit et me remonta doucement le menton.

- Ne dis jamais plus que tu es nulle Iris, me dit-il sur le ton de la confidence.

- J'ai tout gâché, j'ai complètement loupé ma chorégraphie et je me suis ridiculisée devant Louca ! Sa partenaire s'est moquée de moi et son entraîneuse ne m'a même pas vue, alors, excuse-moi, mais j'ai le droit de dire que je suis nulle, chuchotai-je. Je suis nulle, nulle, nulle...

- Je ne peux pas te laisser dire ça ! Tu as un talent incroyable et tu ne t'en rends même pas compte ! Depuis le temps que l'on se connaît, je sais à quel point le patinage compte pour toi, alors je t'en supplie, n'abandonne pas !

- Tu dis ça parce que tu es mon ami et que tu veux me remonter le moral.

- Non, c'est vrai, me dit Samuel les yeux dans les yeux. Tu crois vraiment que Louca t'aurait choisi si je mentais ?

Je n'ai pas répondu. Je m'étais posée la même question le jour où Louca m'avait abordée pour la première fois. Mais je n'avais pas pu y répondre. Pourquoi moi ?

- Quand tu auras compris pourquoi il t'a choisi, tu sauras enfin qui tu es vraiment ! murmura Samuel.

- Arrête de me sortir des phrases toutes faites, t'es énervant !

Samuel a soupiré bruyamment.

- Bon, si tu ne veux pas m'écouter, me dit-il en se redressant. Lève-toi au moins !

Le ton de sa voix avait légèrement tremblé. Je l'ai dévisagé.

- Non, lui répondis-je calmement.

- Allez, tu ne vas pas rester là, tu vas attrapper froid !

- Je m'en fiche, va-t'en !

Il resta là. Il commençait vraiment à m'énerver avec ses airs de tout savoir. Il ne pouvait pas ressentir - d'ailleurs personne ne le pouvait - ce que je ressentais à ce moment-là. C'était comme si plus rien n'avait d'importance.

- Va-t'en je te dis !! Allez, pars ! hurlai-je, et les larmes recommencèrent à couler sur mes joues.

Samuel s'en alla avec ce regard de pitié mélangé à de la tristesse.
Je suis partie lorsque Louca et sa partenaire sont descendus sur la glace. Je n'avais plus rien à faire ici. Mais lorsque j'ai croisé celle qui avait pris ma place au côté de Louca, que j'ai rencontré son regard, son sourire, j'ai compris à qui j'avais à faire. La fille assise seule au self, ce même chignon impeccable, cette peau transparente...Emma !
Elle rigola devant mon expression. Un de ces rires qui te transperçait et te glaçait le sang.

J'ai regardé discrètement pendant un moment leur entraînement. Une rage profonde s'empara de moi. Mes mains, mes lèvres, tout mon corps tremblait. Je ne me laisserai pas prendre ma place par cette pimbèche !
J'ai serré les dents à m'en décrocher la mâchoire. J'avais échoué aujourd'hui, ça c'était évident, mais ce n'était pas terminé. Bien au contraire. Cela venait juste de commencer.

Un vent glacialOù les histoires vivent. Découvrez maintenant