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Le soleil projetait déjà ses derniers rayons sur l'église du village. L'herbe haute bercée par une brise légère me fouettait les chevilles. Je m'arrêtai quelques instants pour contempler le clocher s'embraser. Un sourire - qui avait disparu depuis longtemps - se dessina sur mes lèvres. Je me remémorai toutes ces heures d'entraînements passées à la patinoire, ces disputes avec ma mère et Candice. C'était tout cela qui m'avait fait devenir la jeune femme que j'étais aujourd'hui. Quelques mois plus tôt, ça m'aurait semblé insurmontable de porter autre chose qu'un jean et un sweat. Je suivis le chemin qui longeait la rivière. Un grand bâtiment se tenait là, un peu à l'écart de la ville. On aurait pu croire que c'était un endroit paisible, silencieux où habitaient de jeunes retraités, mais c'était loin d'être le cas. J'entendais déjà la musique, les rires et les verres qui s'entrechoquaient. Mathias m'attendait, adossé au mur de l'entrepôt, il pianotait sur son portable. Il tourna la tête vers moi, et ce fut comme notre première rencontre - quand je l'avais bousculé dans un des couloirs du lycée - mais cette fois je ne rougissais pas.

- Waouh ! C'est pour qui que tu t'es fait belle comme ça ?

Je ne préférais pas répondre et lui dis :

- On y va ? J'ai envie d'aller m'amuser moi !

Et alors que je montais déjà les marches du perron, je lui ai lancé mon plus beau sourire avant de rentrer dans ce que Mathias appelait "l'entrepôt du renouveau". Je ne sais pas où il l'avait trouvé ce nom, mais ça sonnait plutôt bien. C'était un endroit où les jeunes se retrouvaient souvent pour profiter, pour faire la fête. J'avais besoin de danser et de chanter pour oublier mes souffrances. J'avais dit à mes parents - enfin, mon père puisque ma mère n'était toujours pas rentrée - que j'allais dormir chez Candice ce soir. Je n'ai pas pris la peine de le lui dire, elle n'aurait jamais voulu me couvrir de toute manière. Elle ne supportait pas l'idée que je sois redevenue amie avec Mathias. Mon père ne s'occupait plus beaucoup de moi ces derniers temps, je lui avais dit que j'arrêtais la danse sur glace : il m'a à peine écouté. Il n'allait pas bien, je le retrouvais sans cesse sur le canapé, endormi, épuisé. Il n'aimait pas son nouveau travail, et ma mère lui manquait. Lorsque je lui avais annoncé, moi-même, par téléphone, que j'abandonnais le patinage, elle ne s'était pas enthousiasmée comme j'avais cru qu'elle le ferait. Elle m'a simplement dit qu'elle réfléchirait, et qu'elle reviendrait, peut-être, très bientôt à la maison.

Il faisait noir à l'intérieur, mis à part les guirlandes au dessus du bar à droite de l'entrée et les lumières que projetaient les immenses sonos au fond de la salle. Mathias arriva derrière moi.

- Bon, on reste là à rien faire ou on va enflammer la piste ?

J'ai ri.

~~~

Je ne savais pas quelle heure il était. Cela faisait peut-être une ou trois heures que je dansais, je n'en savais rien, en tout cas je commençais vraiment à être fatiguée. Je me suis dirigée vers Mathias en jouant des coudes pour me frayer un chemin parmi la foule. Je n'eus pas de mal à repérer Mathias parmi cette cohue - il dépassait tout le monde d'au moins une tête. Il sautillait sur place et lui, visiblement, n'était pas du tout épuisé. 

- Je crois que je vais rentrer chez moi, je suis fatiguée, dis-je.

- Comment ? s'écria Mathias.

- Je vais rentrer chez moi ! répétai-je un peu plus fort.

- Quoi ? Attends, j'entends rien !

Il me prit le bras et m'arracha de la foule pour m'emmener dans un coin à l'écart des autres danseurs. Nous étions complètement au fond de la salle près d'un escalier qui descendait vers les toilettes - d'après le panneau qui indiquait WC. Mathias se tourna vers moi. Il m'a aidé à changer de vie et à abandonner ce qui me faisait le plus souffrir au monde : le patinage ; je ne le remercierai jamais assez pour ça.

Un vent glacialOù les histoires vivent. Découvrez maintenant