Une fissure

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« On voit rien ici » Constate péniblement Aomine.

Dans ce bazar, tout est noir. Aomine ne distingue presque rien, mis à part le balai qu'il vient de percuter. Il sait que la pièce est étroite, puisqu'un placard à ménage n'est jamais très grand. Dans son dos, des barres métalliques lui indiquent qu'il est posé sur une étagère, à sa gauche la même fraîcheur d'acier sur son avant-bras le mène aussi à cette déduction. Il sait également que son compagnon se tient devant la porte, car son corps, fin et musclé, bouche l'une des fines embrasures, qui laissent échapper quelques rayons de lumière provenant de l'extérieur. Aomine ne voit pas grand chose, mais il entend.

Ses tympans perçoivent l'irrégularité respiratoire de son amant, le tonnerre de ses expirations. Ils décèlent un courroux grandissant qu'abrite dangereusement Akashi, en son for intérieur. D'ailleurs, Aomine trouve ça marrant de le voir lui, Seijuro Akashi, revêtu d'un calme irritant en quelconques circonstances, au centre des vagues fulminantes d'une colère aussi monstrueuse que le génie d'Hanamiya. Daiki noie un ricanements dans une fausse quinte de toux, tant il trouve cette réaction exagérée. Mais après avoir caché son rire, il le regrette aussitôt, un arrière goût salé et cynique empoisonnant sa bouche. Il aurait dû rire, et amèrement même. Un bon rire bien acide, qui aurait orienté Akashi vers une autre rive que celle qu'il s'apprête à prendre.

Car en vérité, c'est plutôt lui, Aomine, qui devrait être à deux doigts de tout casser - d'ailleurs, un rien le ferait craquer. Elodie l'a plus ou moins calmé, a plus ou moins dissipé l'agacement de l'impuissance dans laquelle se trouve, toutefois la peur règne dans sa chambre magmatique au bord de l'irruption. Et oui, parce qu'il s'agit de sa famille. C'est sa sœur de cœur qui s'est fait enlever, arrêter, et qui subit en ce moment d'horrible supplice, auxquels personne n'imaginerait. Alors, peut-être que ses mots ont failli dépasser sa pensée, peut-être qu'ils ont un temps soit peu blessé l'ego de son compagnon, mais sérieusement... Est-ce que ça vaut d'en faire tout un fromage ? Un nuage noir plane au dessus du cœur de Daiki, brouillant de plus en plus les effets antalgique de Elodie. Parce que Akashi, lui qui a connu ses douleurs, devrait le savoir mieux que n'importe qui ici : savoir qu'il devrait se bouger les fesses, au lieu de lui taper une crise...

Oui, Aomine le sent arriver gros comme un tsunami. Il a le flair pour ces situations-là et ça pue la dispute à plein nez. Alors en plus d'être complètement paumé sur la marche à suivre pour sauver sa sœur, tentant de se raccrocher tant bien que mal à la consigne ennuyante à mourir à laquelle il a été missioné, il va devoir accueillir une discussion houleuse avec un grand sourire ? C'est ça ! Et puis quoi encore !
Si jamais tout pète entre eux, si jamais le tonnerre de leur parole éclate trop fortement, Daiki risque d'aboyer des insultes pour avoir la paix. Non seulement, parce qu'il est en colère – cette dernière étant aussi foudroyante qu'effrayante – mais également parce qu'il a peur que cette dispute fendent brutalement leur relation. Et là tout de suite, il n'y survivrait pas...

Un courant d'air parcourt la pièce, herissent les poils des deux hommes, aiguise cette atmosphère cyclonique.

"Je pense qu'il faut qu'on parle, dit le rose.

Sa bouche saigne, vu que Seijuro connaît la signification de ces mots. Il le sent au fond de son cœur, il l'appréhende... Si ça tourne mal, une fissure peut-être irréparable les scindera. Pourtant, sa voix est rude, revêche, l'amertume et la douleur transpercent ses paroles, touchant Aomine en plein cœur comme il le redoutait. Leur estomac se tordent, car malgré tout, ils n'ont aucune envie d'en arriver là... 

À présent que les rétines bleues de Daiki se sont habituées à l'obscurité de la pièce, il repère sans peine les pupilles de son amant, la fureur qui s'en degage. Celle-ci est mélangé à tout un amas de culpabilité, tout comme à une touche de peur, qui scintille au fond des iris de Seijuro. Tout de suite, me cœur du bleuté hurle, totalement perdu entre la fureur de son incapacité à sauver sa frangine et l'envie incommensurable de rassurer son homme. Alors, ses poings se ferment, sa tête se baisse, tenant rageusement ses lèvres de remord.

Toi, moi et un ballon !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant