L'arrivée à Saint-Savin - 2

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« - Ah ! Notre jeune bagagiste nous rejoint enfin... s'exclama Jeanne de Clerfeuille en constatant que j'étais là. Mesdemoiselles, permettez moi de vous présenter le fils de mon amie Berthomée. Comme vous le savez, Louis va passer quelques semaines, au moins, parmi nous. Je compte sur vous pour lui faire le meilleur accueil possible et rendre son séjour plus supportable. Berthomée et son fils vivent des moments difficiles comme tous les réfugiés du nord de notre pays. Ils méritent donc que l'on soit à leur écoute et que cette période leur soit agréable. »

Puis Jeanne me présenta les personnes rassemblées dans le salon, en commençant par la joueuse de cartes qui n'avait même pas daigné lever le regard vers moi quand Marguerite et moi étions entrés. Il s'agissait de la préceptrice des filles de la famille, Mademoiselle Ysilde Gubéran. Afin d'éviter à leurs trois filles les rigueurs d'un pensionnat, les Clerfeuille avaient opté pour une professeure à domicile. Celle-ci avait la tâche de faire d'elles des jeunes filles respectables, sachant tenir leur rang en société. C'était tout ce que l'on demandait aux filles de bonnes familles encore à cette époque. Mais il suffisait de voir la façon dont les jumelles riaient sous cape durant les présentations pour comprendre que le travail était loin d'être facile.

D'ailleurs, quand mon regard se porta sur les bessonnes qui, à présent, étaient assises côte à côte sur un divan, je fus encore plus frappé par leur similitude. Absolument rien ne les différenciait. Je compris alors qu'apprendre à les reconnaître serait une tâche presque insurmontable. Mais pour l'heure, toutes les deux me regardaient avec ce petit sourire charmeur, mais aussi particulièrement étrange, qui ne les quittait pas. Quand leur mère me dît :

« - Tu as déjà fait connaissance avec Marguerite, donc je te présente son double : Églantine. Attention, ce sont vraiment deux petites diablesses en jupon, alors ne te laisse pas avoir par leur visage d'ange. Quand elles sortent de leur tanière, il faut s'attendre à ce qu'elles préparent un mauvais coup. »

Je fus dérouté car celle qui m'adressa un bienvenu d'une voix douce me semblait être celle qui était venu me chercher dans la chambre. Mais comme je ne les avais pas vu s'asseoir sur le divan, je n'étais sur de rien.

Enfin, ce fut au tour de Capucine de m'être présentée. Son sourire, bien plus charmeur que celui de ses sœurs, n'avait pas quitté ses lèvres délicates.

« - J'espère que nous rendrons ton exil ici agréable. Considère toi comme chez toi, me déclara-t-elle avec la voix la plus mélodieuse qu'il m'avait été donné d'entendre.

- Je suis certain que ce sera le cas, dis-je en tentant de dissimuler mon trouble. »

Mon cœur battait à tout rompre et je me sentais comme aspiré par son regard d'azur. J'étais littéralement hypnotisé par le charme de Capucine. Je ne voyais qu'elle. Je n'entendais qu'elle. Pas même la voix de ma propre mère qui s'adressait à moi.

« - Louis ? Louis ! À enfin tu écoutes, me gronda-t-elle gentiment quand, enfin, je perçus le son de sa voix. Les jumelles viennent de te proposer de te faire visiter les lieux.

- Oh, pardon ! fis-je, confus. Avec plaisir.

- Nous dînons dans deux heures, cela vous laisse le temps de faire plus ample connaissance, ajouta la maîtresse des lieux. »

J'inclinai la tête poliment, puis je suivis Marguerite et Églantine vers une porte différente de celle par laquelle nous étions entrés dans le salon. Avant de quitter la pièce, je jetai un dernier regard vers celle qui avait mis le feu à mon âme mais celle-ci était de nouveau affairée à sa partie de cartes avec la préceptrice. Toutes deux me paraissaient avoir un échange assez vif à voix basses. La préceptrice semblait retenir, assez difficilement, son irritation et Capucine me paraissait vouloir la calmer. Je suivis les jumelles dans la pièce suivante.

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