Vendanges - 4

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 La semaine passa rapidement. Le travail dans les vignes se déroulait à merveille. Tout le monde m'avait adopté, moi le petit réfugié picard. Adrien se montrait chaque jour bon camarade et peu avare en plaisanterie en tout genre, faisant rire toute l'équipe. Parfois, il se laissait embarquer par les rires de son auditoire et oubliait quelques grappes de raisin derrière lui. Jules lui adressait alors une légère tape sur l'arrière de la tête avec un grondement sourd. La manœuvre ramenait le pitre à un peu plus de sérieux pendant quelques minutes avant de reprendre son petit spectacle, pour le plus grand plaisir de son public.

Le temps fut à notre avantage durant tous ces jours. Certes les matinées étaient fraîches, à tel point qu'une fine pellicule de givre se formait sur l'herbe aux premières heures du jour. Toutefois, vers onze heures, il faisait suffisamment chaud pour que l'on tomba la veste et remonta les manches. Quand nous faisions une pause pour nous désaltérer ou lors du déjeuner, je tentais de discuter avec tout le monde pour ne pas paraître trop distant. La plupart des vendangeurs, sans le dire clairement, semblaient savoir, plus ou moins, qui j'étais. Mais comme je me montrais volontaire à l'ouvrage et que je me comportais comme chacun des vendangeurs, je fus traité comme les autres. Je n'en demandais pas plus.

Ce ne fut qu'en fin de semaine que mon compagnon de rangée comprit que je n'étais pas un simple réfugié. Comme chaque jour depuis le début des vendanges, Jeanne de Clerfeuille et l'une de ses filles déjeunaient avec l'un des groupes de travail. Quand ce fut notre tour, le vendredi, Jeanne arriva avec les jumelles. Ces dernières n'avaient pu se mettre d'accord pour savoir qui aurait la possibilité de déjeuner avec le groupe dont je faisais partie. Devant la familiarité, toujours convenable, dont elles faisaient usage pour me parler et s'accaparer mon attention, il aurait été difficile de ne pas comprendre que j'étais un de leur proche et pas simplement un garçon de passage. Taquines, elles s'informèrent au près des autres jeunes filles de mon équipe afin de savoir si je m'en sortais de ma tâche. Adrien resta en retrait tout le long du déjeuner, alors que nous mangions côte à côte précédemment. Par instant, je croisais son regard sévère mais il ne dit rien. Cela ne s'améliora pas quand Constance, la fille dont il était secrètement amoureux, passa du temps avec moi et les jumelles et que nous rigolâmes tous les quatre.

Durant ce repas, les filles m'entraînèrent dans leurs discussions avec les autres personnes du groupe. Visiblement, les filles Clerfeuille avaient été formées à l'art de la conversation, chose pour laquelle je me sentais moins bien préparé. Elles passèrent un long moment avec Louison, parlant principalement de sa grossesse.

«- Et savez-vous quand aura lieu la naissance ?

- La vieille Agathe m'a dit que ce serait pour la saint Nicolas et que ce sera un garçon.

- Et c'est ce que vous espériez ?

- Un garçon ? À vrai dire, je n'ai pas de préférence. Mais c'est vrai que mon homme serait fier d'avoir un petit gars comme premier enfant. Alors je serais heureuse de lui faire ce cadeau quand il rentrera de la guerre.

- Croisons les doigts pour que ce soit le cas et que cette madame Agathe ait vu juste.

- Il paraît qu'elle ne se trompe jamais. »

Les trois jeunes femmes discutèrent encore plusieurs minutes, riant et s'enthousiasmant pour cette naissance à venir. Parfois l'une de mes deux amies me prenait à témoin pour me faire participer à leurs échanges, mais j'étais nettement moins à l'aise qu'elles. Surtout avec un tel sujet. Puis, peu de temps avant que nous ne reprenions le travail, les jumelles profitèrent de quelques instants à l'écart du groupe pour m'entretenir de leurs projets.

«- Il est fort dommage que tu sois occupé aujourd'hui. Nous aurions pu aller au lac. Il fait encore bon. Nous aurions pu en profiter une dernière fois.

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