Emotions - 4

135 5 0
                                    


Le vieil homme eut toutes les peines du monde à finir son explication. La nouvelle nous frappa en plein cœur. Je vis le visage de l'amie de ma mère se décomposer en une seconde. Les filles avaient porté leur main à la bouche pour retenir leur cri. De mon côté, j'étais totalement assommé par ce que je venais d'entendre.

« - Où est-elle, demanda Jeanne.

- Son corps a été ramené chez elle, Madame.

- Mais comment est-ce possible ? Hier soir quand je l'ai laissée, un médecin lui avait fait une piqûre pour la faire dormir.

Comment est-ce possible ? »

Le vieux jardinier haussa les épaules. Le pauvre homme n'avait guère plus d'informations à fournir.

«- Bon, Jules, sortez la voiture. Nous allons au village maintenant. Mes enfants, je vous laisserai sur le marché pendant que j'irai chez Louison. Préparez-vous, nous partons dans dix minutes. »

Chacun approuva d'un mouvement de tête et se mit en ordre de marche.

Un quart d'heure plus tard, les filles et moi descendions de la voiture en plein cœur de Saint-Savin. Malgré l'heure encore assez matinale, la foule se pressait déjà dans les rues avoisinantes. Mais contrairement à l'accoutumée, les visages étaient fermés. L'atmosphère était lourde et poissarde. Comme si le chagrin collait à la peau. Une chape de plomb s'était abattue sur le village et semblait avoir retiré toute forme de joie et de vie.

Lentement nous traînâmes entre les étalages des commerçants. Une marchande de rubans et de foulards attira l'attention des jumelles et de Capucine. Je leur offris chacune le leur en puisant grandement dans mon salaire de la semaine. Mais j'avais envie de leur faire ce plaisir en ce jour étrange.

Puis nous quittâmes le centre marchand de Saint-Savin pour rejoindre son centre spirituel. Les portes de l'église étaient grandes ouvertes et je pénétrais à l'intérieur avec mes compagnes. Elles furent rapidement prises en main par un père Grassien tout sourire devant ces demoiselles venues confier leurs plus intimes turpitudes. Ce fut l'aînée qui se plia la première à la corvée du confessionnal.

- Jeunes pécheresses, vous avez sans doute bien des choses à avouer à l'homme en robe qui vous attend dans sa boîte, soufflai-je aux jumelles.

- Tellement... Quand nous aurons soulagé nos âmes, j'ai bien peur qu'il ne nous fasse excommunier, murmura la première.

- Mais bien sûr, nous expliquerons que nous sommes des pauvres enfants écartées du droit chemin par un vil mécréant venu de ses lointaines contrées du nord, ajouta la seconde.

- Dans ce cas, permettez moi de retourner un moment dans le centre du village pour me tenir loin du courroux de notre bon père.

Je quittai les filles pour rejoindre les rues les plus proches. Quelques femmes rentraient du marché, leur panier en osier tressé à la main. Le hasard me fit croiser Constance et sa mère qui discutaient avec une de leur voisine. Nous échangeâmes quelques minutes sur l'affreuse tragédie qui avait touché le village. Au fil des mots, je devinais que la mort de Louison n'avait pas surpris plus que ça. Tout le monde savait la relation fusionnelle qu'elle et l'amour de sa vie entretenaient. Avec la mort de Lucien, elle perdait ce qu'elle avait de plus grand. La mère de Constance ajouta que dans la situation inverse, Lucien n'aurait pas résisté très longtemps lui non plus. Je ne connaissais encore que peu de choses sur l'amour. Mais une telle passion, se sentir lié à quelqu'un avec une telle force au point de renoncer à vivre sans lui me paraissait totalement fou. Mais pourtant, je n'avais aucune envie de juger Louison.

L'éveilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant