Le Lac - 6

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Je refermai le carnet et pris un instant afin d'éviter d'avoir à poser les yeux sur les jumelles même si je sentais qu'elles me fixaient toutes les deux depuis un bon moment. Essayant de rester le plus naturel et détendu possible, je rendis l'ouvrage à sa créatrice en la félicitant sur la qualité de son travail. Celle-ci me parut aussi troublée que moi. Même si elle n'en disait rien, elle avait noté la déformation de mon caleçon entre mes jambes. Mais le masquer aurait été vain et surtout il était trop tard. Et puis, après tout, elle m'avait permis d'entrouvrir une fenêtre sur ses activités les plus intimes, il m'aurait paru injuste de me parer d'un manteau de pudeur et de ne pas assumer mes propres émois.


«- J'aimerai te dessiner, me dit-elle avant de préciser, enfin ton visage.

- Je ne suis pas sur d'être un bon modèle.

- Détrompe toi. Tu es très beau. »


Églantine s'empara de ses crayons et rouvrit le carnet sur la première page blanche disponible. Avec des petits mouvements de poignet agiles, elle commença à reproduire mon visage et mon torse. Me voyant totalement figé, elle m'expliqua en riant que je pouvais bouger et parler. Puis elle me demanda :


«- Tu as une fiancée ou une amoureuse chez toi ou à Paris ? »


Margot referma son livre dont elle n'avait probablement pas lu plus d'un paragraphe. La question semblait l'intéresser elle aussi.


«- Non, je n'ai pas d'amoureuse là-bas. Tu sais, il y a peu de jeunes filles autour de moi à part mes petites cousines. Au lycée, je ne suis entouré que de garçons.

- Et même parmi les amis de tes parents, aucun n'a de fille qui pourrait te plaire.

- Non, même là. La plupart du temps je suis à l'internat et je ne rentre que pour les vacances. Durant ces périodes, mes parents reçoivent assez peu, en dehors de la famille. Et vous deux ?

- Nos parents recevaient beaucoup avant que cette guerre ne commence. Des amis, des clients, de la famille. Et il y a bien des garçons qui nous font la cour. Mais c'est plus un jeu de leur part. Beaucoup préfèrent la faire à Capucine. Elle sera bientôt en âge de se marier et elle représente un excellent parti. Les prétendants ne manquent pas. Les pauvres... expliqua Marguerite.

- Les pauvres ? insistai-je.

- Capucine a beaucoup changé depuis le printemps dernier. Avant elle était plus drôle, elle aimait passer du temps avec nous. Mais elle n'est plus la même.

- Que s'est-il passé ?

- Rien, s'empressa de répondre Églantine. À part que Mlle Ysilde a décidé que notre sœur n'était plus une enfant et elle a une grande influence sur Capu. »


Il n'était pas nécessaire d'être devin pour comprendre que les jumelles en voulaient à la préceptrice de leur avoir « volé » leur grande sœur. Ne voulant pas les mettre dans l'embarras sur ce sujet, je ramenai la conversation sur leurs prétendants.


«- Et aucun des garçons qui vous font la cour ne trouve grâce à vos yeux ?

- Non, se lança la dessinatrice, parfois certains sont mignons mais on sait très bien qu'ils ne sont pas sincères car nous sommes trop jeunes. Sans oublier que pour ces hommes nous sommes surtout des dotes revêtues d'une jolie robe avec un beau sourire. Et puis pour la plupart, nous ne les voyons guère plus d'une fois ou deux par an. Pas facile de s'attacher à l'un d'eux. Les seuls garçons que nous croisons régulièrement sont ceux du village. Mais pour ceux là, nous sommes « les filles du château ». Donc inaccessibles. De toute façon, tu le sais très bien, quand nous serons en âge de nous marier, nous pourrons nous estimer heureuses si, comme pour notre mère, on nous demande notre avis entre deux ou trois prétendants. »

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