Vendanges - 3

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Quand arriva l'heure du dîner, je retrouvai les femmes de la maison dans la salle à manger. Aussitôt j'éprouvai un pincement au cœur en prenant pleinement conscience de l'absence de ma mère. Capucine s'installa à la place laissée vacante. Associée à la fatigue de cette longue journée de labeur, cette absence fit naître un profond sentiment de tristesse. Je fus particulièrement en retrait tout au long du repas. Et quand je répondais aux questions qui m'étaient posées, cela ne dépassait que rarement les quatre ou cinq mots. Jeanne, comme ses filles, sans doute conscientes de mon état, feignirent de mettre cela uniquement sur le compte de la fatigue liée au travail. Mais le regard que chacune d'entre elles me portaient démontrait qu'elles avaient bien compris où se trouvait mon mal.

Le repas ne s'éternisa pas. Quand il s'acheva, je sortis de table en grimaçant.

«- Que t'arrive-t-il, Louis ? me demanda la marquise, quand ses filles et la préceptrice quittèrent la salle à manger.

- Je crois que mon dos aura besoin d'un peu d'entraînement avant d'accepter de rester courbé toute une journée.

- Je comprends. Passe voir Suzanne en cuisine. Je crois qu'elle a un remède contre ce genre de douleur.

- D'accord, je vais y aller tout de suite. Si vous me le permettez, je pense que je vais aller me coucher et dormir aussitôt après.

- Ne t'inquiète pas, je comprends fort bien. Passe une bonne nuit mon garçon. »

J'allais franchir la porte quand Jeanne me dit :

«- Merci pour ton aide Louis. Rien ne te pousse à faire cela. Je suis touchée que tu t'investisses ainsi dans le bon fonctionnement du domaine à ta façon. »

Je lui adressai un sourire amical puis elle ajouta, avec un ton maternel qu'elle utilisait rarement.

«- Et puis, même si Berthomée est absente pour quelques jours, n'oublie pas que tu es ici chez toi. Nous sommes toutes là pour toi, alors si ça ne va pas... n'hésite pas.

- Merci, Jeanne. Je n'y manquerais pas. »

Les mots furent simples, mais ils m'apportèrent un peu de cette chaleur qui faisait défaut à mon cœur ce soir là.

Comme m'avait suggéré la maîtresse des lieux, je fis un détour par les cuisines pour demander son remède à la brave Suzanne. Je découvris les Martineau en train de souper à leur tour. Même s'ils m'accueillirent avec le sourire, je m'excusai de les interrompre en plein repas. Rapidement, j'expliquai les raisons de mon intrusion tardive.

«- Pour sûr que j'ai ce qu'il vous faut Monsieur Louis, fit la cuisinière en commençant à se lever de table. J'ai un onguent fait maison qu'on se transmet dans la famille. Je vais vous le chercher tout de suite. Vous inquiétez pas, c'est le métier qui rentre comme on dit par chez nous.

- Non, non Suzanne. Terminez votre repas. Je ne suis pas aux portes de la mort. Je peux attendre que vous ayez fini.

- Si Monsieur Louis veut bien, je pourrais lui monter quand nous aurons terminé, ajouta Gabrielle en regardant sa mère.

- Oui, ça me va parfaitement. Faisons ainsi. »

Mon regard croisa celui de Gabrielle et celle ci m'offrit un sourire plein de malice. Je pris congés en leur souhaitant un bon appétit et montai dans ma chambre. Avec des gestes meurtris, je me changeai et enfilai mon pyjama dans la salle de bain, puis je m'allongeai sur mon lit en poussant un soupir de soulagement avant de saisir le volume de Fantômas qui m'attendait sur la table de chevet.

Une quinzaine de pages plus tard, Gabrielle toqua à ma porte. Elle pénétra sans un mot dans la chambre, tenant une sorte de petit bocal en bois dans les mains.

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