Dimanche d'été - 3

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Comme la veille, les filles décidèrent de suivre les chemins de terre pour rejoindre les rives du lac. Mais cette fois nous ne nous arrêtâmes pas devant la barrière indiquant le sentier privé qui menait à la clairière. Je les interpellai pour leur rappeler que nous devions récupérer les bouteilles dans la nasse mais elles répondirent en chœur que l'on verrait cela au retour. Nous poursuivîmes sur la route caillouteuse. Dès que le bois commença à s'éclaircir sur notre gauche, nous vîmes les berges du premier lac puis, après quelques secondes, nous parvînmes au bras de terre qui sépare les deux pièces d'eau.

Les jumelles me laissèrent le choix de la direction à prendre. Soit continuer tout droit pour longer le second lac vers le nord, soit traverser le gué et contourner le lac où nous nous étions baignés. J'optai pour poursuivre devant nous. Mes camarades imprimèrent un rythme assez peu soutenu pour avancer. L'air était étouffant et même les oiseaux semblaient s'être réfugiés dans des espaces plus ombragés que cette partie ci de la rive. Seuls quelques moucherons croisèrent notre chemin par petites nuées à proximité des arbres diffus et des quelques buissons à notre gauche. Nous progressâmes jusqu'à l'extrémité septentrionale de la pièce d'eau avant de marquer quelques instants de repos.

Le lac m'apparut sur toute sa longueur. Sur la droite, à quelques centaines de mètres, se dressait la silhouette massive d'un moulin. Les filles m'expliquèrent que durant les beaux jours, les habitants des villages avoisinants s'y retrouvaient pour danser et s'amuser à l'ombre des arbres. Chaque commune du secteur comptait dans ses rangs deux ou trois musiciens qui se relayaient. Nous remontâmes sur nos engins pour nous rendre sur place. Tout en pédalant, chacune des bessonnes me narra des anecdotes de ces bals improvisés. Lorsqu'elles étaient plus jeunes et que leur grand-mère était encore en vie, celle-ci ne voyait pas d'un bon œil que les filles de la famille se joignent aux petites gens. Mais quand l'aïeule trépassa à l'hiver 1912, les parents ne s'opposèrent pas à cette nouvelle lubie des jumelles, à l'unique condition que Suzanne soit présente pour les chaperonner.

«- De toute façon, nous restions le plus souvent assises à regarder les gens danser car personne n'osait nous inviter. Parfois, Jules accompagnait Suzanne et nous faisait danser, m'expliqua l'une des sœurs. Jacques aussi venait des fois quand il était là. Entre deux valses avec Ninon, Suzanne ou Gabrielle, il nous entraînait avec lui. »

Un petit sourire triste empreint de nostalgie se dessina sur les visages de mes camarades.

«- Maintenant, avec cette guerre, les gens n'ont plus le cœur à danser le dimanche.

- Ça ne durera pas. Je suis certain que l'été prochain, tout sera revenu dans l'ordre et vous danserez encore avec votre frère, tentai-je de les rassurer.

- Si seulement tu pouvais avoir raison. »

Nous rejoignîmes le moulin et la vaste charmille qui se situait devant. Ombragé, l'endroit semblait idéal pour ce genre de rassemblement. Une sorte de kiosque à musique de fortune y était dressé. Avec un peu d'imagination, il n'était pas difficile d'entendre les échos des violons, des flûtes et les rires des danseurs d'antan. Nous posâmes nos bicyclettes contre le mur du moulin puis nous déambulâmes entre les arbres clairsemés. Certains portaient les traces d'un amour naissant gravé à la pointe du couteau par un jeune fiancé.

«- Sais tu danser Louis ? me demanda l'une de mes amies.

- Je n'ai jamais appris, dus-je reconnaître.

- Oh nous t'aurions appris ! s'écria sa sœur en attrapant son double par la taille pour esquisser quelques pas de valse.

- Je suis certaine que tu aurais fait un excellent danseur, enchérit l'autre danseuse. À moins qu'il ne s'agisse de la même car dans leurs cabrioles endiablées, je ne parvenais plus à savoir laquelle des deux parlaient.

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