Le Lac - 4

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Il n'était pas encore 14h lorsque nous quittâmes le château, juchés sur nos bicyclettes et canotiers au vent. Les filles avaient chacune un grand panier accroché à leur porte-bagage tandis que j'avais une large gibecière autour du cou. Après quelques hectomètres sur une route parfaitement plane, les demoiselles bifurquèrent sur un sentier plus accidenté en m'expliquant qu'il s'agissait d'un raccourci. Chaque tour de pédalier devait s'effectuer avec la plus grande attention afin d'éviter les pierres qui sortaient de terre ou de mettre une roue dans une ornière ou un trou qui aurait vite fait de nous expédier au sol. Dans le panier de l'une de mes camarades, des bouteilles en verre s'entrechoquaient, teintant notre progression d'une sorte de musique cristalline.

Le chemin de terre traversait les vignes durant la majeure partie du trajet. À cette période de l'année, les grappes étaient abondantes et attendaient d'être récoltées en finissant de se gorger du sucre nécessaire pour en faire un des meilleurs vins du pays. Puis, lorsque nous arrivâmes prêt du lac, un bois se dressa sur notre gauche. Mes guides abandonnèrent le chemin cabossé pour un sentier plus étroit encore, fermé par une barrière. Sur celle-ci, un panneau propriété privée avertissait les passants. En ces jours bénis, cela suffisait à tenir les curieux à l'écart.

«- Cette partie du bois est à notre famille, m'expliqua l'une d'elles. Le petit chemin va tout droit au lac qui nous appartient. En fait, il y a deux lacs du moulin blanc séparés par une petite bande de terre. Le lac le plus au nord est un lac communal. Le nôtre est celui qui se trouve plus au sud. Si tu veux, un jour, nous en ferons le tour. Mais pour le moment, dépêchons nous. Dans cinq minutes nous serons allongés dans l'herbe. »

Nous continuâmes notre périple sur ce qui tenait plus de la piste que d'un chemin. L'odeur de sous-bois y était forte et nous remplissait les narines. Avec la fin prochaine de l'été, quelques arbres avaient commencé à perdre leurs premières feuilles tandis que d'autres n'allaient plus tarder à maquiller leur feuillage de brun et d'ocre.

Parfois, entre ce méli-mélo d'arbres, de buissons et de hautes herbes, il était possible d'apercevoir la silhouette furtive d'une biche fuyant devant notre intrusion dans son royaume.

Au milieu de cette masse végétale, les bruits de nos engins, le choc des bouteilles ou même nos paroles résonnaient de façon différente, assourdis comme si nous nous trouvions dans un immense écrin.

Enfin, au détour d'un virage, la sente déboucha sur une vaste clairière au bout de laquelle le lac du moulin blanc nous offrait ses berges. L'endroit me parut coupé du monde et porteur d'une certaine magie. Les premiers mètres bénéficiaient encore de l'ombre et la fraîcheur du bois mais dès que nous nous approchâmes du rivage, nous nous retrouvâmes en plein soleil.

Les jumelles se turent le temps que je m'imprègne de l'endroit. Autour de nous, nous parvenaient le chant des oiseaux et le bruissement des plus hautes branches bercées par un léger souffle de vent. Le soir venu, quand l'atmosphère deviendrait plus fraîche, quelques coassements de grenouilles dissimulées dans les herbes du rivage s'associeraient à cette mélodie.

«- C'est tellement beau... murmurai-je, incapable de dire autre chose qui ne soit en dessous de la perfection des lieux.

- Nous aimons beaucoup cet endroit. Nous y venons le plus souvent possible, confessa l'une des sœurs à voix basse. »

À mon tour, je tombai immédiatement amoureux de cet îlot de sérénité. Nous savourâmes notre plaisir quelques secondes encore, puis nous posâmes nos engins contre un tronc d'arbre et installâmes nos affaires.

Ma besace contenait une sorte de drap épais, parfaitement plié, que nous disposâmes sur une partie ensoleillée de la clairière. Mes jeunes amies m'expliquèrent qu'au fil des heures, l'ombre de la forêt avancerait progressivement en direction du lac et qu'il serait alors temps de rentrer au château. Mais nous avions tout l'après-midi avant que cela arrive.

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