Vendanges - 2

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Je m'approchai de Jules qui portait une de ses mains à la poche de sa veste. Il en sortit un sécateur qu'il me tendit.

«- Pas de bon travail, sans de bons outils. Gardez-le avec vous durant toutes les vendanges, me dit-il avant de héler le garçon à la chevelure en bataille. Adrien, tu montreras à Louis ce qu'il faut faire. C'est la première fois qu'il fait ça.

- Pas de problème, Jules. Tu peux compter sur moi.

- Et pas de pitrerie, j'ai autre chose à faire qu'à te courir derrière pour te mettre mon pied où tu sais.

- Allons, Jules ! Tu me connais, répliqua le garçon.

- Ouais, justement... »

Adrien m'adressa un sourire puis nous avançâmes, un panier dans une main et le sécateur dans l'autre vers la première rangée libre entre deux rang de vigne. Lui à gauche, moi à droite nous prîmes position en attendant le signal de départ. Rapidement il me montra comment bien couper les grappes et les gestes à faire pour vérifier que l'on en oubliait aucune.

Quand tout le monde fut en place, nous nous élançâmes pour une longue journée de récolte. Mes premiers pas furent assez lents par rapport à ceux de Adrien, mais je pris assez rapidement le rythme.

Pendant que nous coupions les grappes, Jules et un autre homme passaient dans les rangs avec une hotte sur le dos et chacun vidait le contenu de son panier dans celle-ci lors de leur passage. Ensuite, les hottes étaient vidées dans d'immenses réceptacles disposés sur une charrette prête à être ramenée au château.

«- T'es nouveau dans la région ? Je t'ai jamais vu avant, me demanda Adrien.

- Oui, je suis ici de passage, on va dire. Je viens de Picardie.

- À cause de la guerre ?

- Oui, l'endroit où je vis était trop proche de la ligne de front. Peut-être même que les allemands y sont passés.

- Ouais, je vois. C'est moche. Et tu habites où, du coup, insista-t-il.

- Je suis hébergé au château.

- Ah bin tu t'embêtes pas toi ! Tu es peut-être de la famille à Jules et Suzanne.

- Non, non. Ma mère connaît quelqu'un là-bas. Alors c'est pour ça...

- Ouais, je vois. En tout cas, tu dois être comme un coq en pâte avec toutes ces jolies filles autour de toi. Même si on a pas le droit d'y toucher, ça coûte rien de jeter un coup d'œil. Ça gâche pas la marchandise.

- C'est vrai que je vais pas me plaindre pour ça. »

Adrien changea ensuite de sujet de discussion à ma plus grande satisfaction. Je n'avais pas envie que l'on me voit comme un petit monsieur et le fait que l'on me prenne pour un simple réfugié me convenait. Autour de nous, les conversations allaient bon train. De ce que j'en percevais entre deux phrases de patois local, on parlait de la vie du pays, des derniers commérages, de la guerre bien sur. On avait appris ce matin là que la bataille de la Marne s'était achevée par une victoire française le samedi précédent, après plusieurs jours de lutte intense. L'espoir renaissait. Et moi j'éprouvais du soulagement en pensant à ma mère qui, en ces instants, devait faire route pour la capitale.

Plus tard dans la matinée, une des femmes se mit à raconter l'une de ces histoires que l'on se transmettait, le soir à la veillée. Là encore, certains passages furent racontés avec des mots du cru mais je parvins à en saisir la substance.

Le travail avançait vite. Il n'était guère compliqué, mais être penché en permanence n'était pas de tout repos pour le dos. Au fil des heures, l'air était devenu agréable. De temps à autre, nous nous arrêtions pour nous désaltérer. Adrien se montrait bon camarade de corvée. Il n'était pas avare de blagues et d'anecdotes. Parfois, il prenait un malin plaisir à provoquer les filles les plus jeunes de notre groupe. Je remarquai que l'une d'entre elles ne le laissait pas indifférent. Malgré son caractère enjoué, il portait sur cette fille, prénommée Constance, un regard particulièrement tendre qui en disait long sur les sentiments qu'il nourrissait pour elle. Elle était plutôt jolie avec ses tresses brunes rassemblées autour de son crane, son nez légèrement retroussé. Toutefois, la demoiselle ne montrait aucune attention particulière envers cet amoureux secret.

L'éveilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant