Emotions - 3

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À bout de souffle, j'arrivai au château. Pensant trouver les filles et leurs invités dans le salon, je passai par l'arrière du bâtiment. Mais tout ce petit monde se tenait dans le parc. Mon irruption ne passa pas inaperçu. Suant, soufflant, les cheveux en désordre, j'apparus tel un chien fou dans un jeu de quilles. Si cette vision entraîna un sourire de la part des jumelles, je devinai un rictus de dégoût sur le visage de celle qui me paraissait être Eugénie, la fille des Dumesnil. Quant aux parents, ce fut surtout la surprise qui domina.

Capucine s'excusa puis s'approcha de moi et s'enquerra de la cause de mon empressement. Tout en cherchant à reprendre ma respiration, je lui expliquai le fil des événements par bribes de phrases saccadées et lui rapportai les paroles de sa mère. Elle me remercia et, avec un sourire aimable qui accentua sa beauté, elle m'invita à aller me changer afin prendre un aspect plus convenable avant de les rejoindre. Et tandis que je prenais la direction des portes du château, je perçus le regard pesant d'Eugénie sur mes épaules, jusqu'à ce que je disparaisse de son champ de vision.

Je pris mon temps plus que de nécessaire. Les événements m'avaient chamboulé plus que je ne l'aurais cru. Pendant que je me passais de l'eau sur le visage et le haut du corps, je revoyais le désespoir de Louison. Quelques larmes me montèrent aux yeux sans que je pusse parvenir à les maîtriser. Toutes les personnes qui m'avaient parlé de Louison en revenaient toujours à la passion qu'elle et Lucien se portaient depuis leur plus jeune âge. Un amour dont il ne restait plus, à cet instant, qu'un enfant à naître qui ne connaîtrait jamais son père.

Je finissais de revêtir une des mes tenues les plus habillées quand on frappa à la porte de ma chambre. Gabrielle entra, l'air contrit.

« - Pardonnez moi, Monsieur Louis, fit-elle avec une gêne que je ne lui avais jamais connue.

- Gaby, nous sommes seuls. Tu n'as pas besoin de...

- C'est l'habitude, excusez moi.

- Ce n'est rien. Qu'y-a-t-il ?

- Je sais ce qui est arrivé. J'ai entendu quand les gendarmes sont venus prévenir Madame tout à l'heure. Je voulais savoir comment Louison avait réagi. Nous avons le même âge toutes les deux. Nous sommes allées à l'école du village ensemble, nous sommes amies depuis si longtemps. Lucien, était aussi un bon camarade et un grand ami d'un de mes frères. J'étais à leur mariage. Ce qui vient d'arriver et tellement...

- Cruel.

- Oui, cruel. »

Je lui expliquai ce dont j'avais été témoin. C'est à dire peu de choses en somme. L'émotion se lisait sur son visage comme dans un livre ouvert. Je la pris dans mes bras pour lui apporter un peu de réconfort quand elle ne put retenir ses larmes davantage.

« - Je vais vous faire des taches sur votre costume, s'excusa-telle en s'écartant quand le plus gros de sa peine se fut déversé sur mon épaule. Vous n'allez pas être bien présentable devant les invités.

- Ne t'inquiète pas pour ça, je me suis déjà chargé de leur offrir un spectacle où j'étais particulièrement peu à mon avantage, lançai-je avec un sourire. »

Gabrielle se chargea d'ajuster ma tenue comme il se devait en me félicitant sur mon apparence.

« - Habillé comme cela, tu es encore plus séduisant mon beau Louis, murmura-t-elle en retrouvant son air aguicheur avant de s'écarter de moi et quitter ma chambre avec un sourire, qui, bien que sincère, ne dissimulait pas la peine qui la taraudait. »

Je quittai ma chambre à mon tour. Tout le monde eu la politesse de ne pas faire référence à mon arrivée peu conforme aux attentes de ce milieu. Visiblement, Monsieur Dumesnil fut soulagé d'avoir un autre « homme » à qui parler. Dès que Capucine eut achevé les présentations, il s'accapara mon attention pendant que les femmes conversaient entre elles. Le fils cadet, quant à lui, flânait dans le parc. Pendant près d'une heure, il me parla vin, négoce et investissements sans que je fusse dans la possibilité de prononcer plus de deux phrases consécutivement. Je ne fus délivré de cet étrange supplice qu'au retour de Madame de Clerfeuille.

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