La semaine suivante fut des plus radieuses. Le soleil était revenu sans pour autant nous accabler de chaleur. Les journées furent agréables. Le matin, je traînais encore à la découverte des alentours. Petit à petit, je m'étais acclimaté à ce nouvel environnement. Saint-Savin et les villages avoisinants me devinrent familiers. J'aimais de plus en plus cette région bien plus ensoleillée que mon Oise natale. J'aimais parcourir ses routes, ses sentiers et ses sous-bois au guidon de mon Alcyon. Le feuillage des arbres passait du vert à l'ocre ou au marron et donnait à la nature un charme supplémentaire. L'automne ne tarderait plus à arriver mais déjà ses atours décoraient le paysage. Je fis le tour des lacs, en solitaire cette fois-ci.
Notre clairière près du lac voyait son sol se couvrir, chaque jour davantage, de feuilles mortes. L'eau s'était aussi refroidie en raison des nuits fraîches et des dernières pluies abondantes. Mais cela ne nous empêchaient guère de nous y réfugier et d'exposer nos corps aux derniers rayons du soleil. Il faisait encore assez chaud pour en profiter dans le plus simple appareil. Nous en profitions pour nous adonner à nos caresses solitaires habituelles. Chacun jouant avec son propre sexe sous le regard tendre et troublé des deux autres. Jamais, cet été là, nous ne nous sommes touchés pour nous faire jouir sur les rives du lac du moulin. Nous limitions nos contacts aux embrassades et aux baisers, même si ceux ci étaient régulièrement pleins de fougue. Toutefois, grâce à Marguerite, je savais maintenant ce que leurs doigts pouvaient découvrir quand ils disparaissaient en elles. À ma demande, j'avais obtenu que les jumelles s'embrassent également devant moi. Je prenais plaisir à voir ce tabou transgressé. Plus je grandissais, plus j'avais envie de bafouer de nombreuses règles morales. Seize ans, n'est-ce pas l'âge des révoltes ? Sans doute. Mais je trouvais un écho à ces envies chez mes deux amies les plus intimes. Il aurait été dommage de nous en priver. Nous n'agissions contre personne, nous ne blessions personne.
Après notre première expérience du samedi soir, Margot avait rejoint ma couche le lundi suivant. Dès qu'elle eut franchi la porte de la salle de bain, elle avait laissé choir sa robe de chambre au milieu de la pièce et s'était glissée dans mon lit sans un mot. Nous nous étions embrassés et nos mains étaient entrées en action. Son sexe était déjà humide quand elle s'était allongée à mes côtés. Le mien ne mit pas longtemps à grandir sous ses doigts maladroits.
Avec le recul des années, je me demande pourquoi nos bouches ne se sont jamais aventurées plus bas que le cou lors de ces toutes premières expériences. Peut-être n'avions nous pas conscience que des lèvres, des dents ou une langue pouvaient être des instruments du plaisir au même titre que des doigts ou un sexe. Nous étions encore si inexpérimentés. Après avoir jouis tous les deux, elle m'avait donné un ultime et long baiser avant de me laisser seul, les arômes de son sexe sur le bout de mes doigts.
En milieu de semaine, Églantine fut exemptée de cours le matin. Une mauvaise migraine s'était emparée d'elle et il fut convenu qu'elle garderait la chambre ce jour là. Je fus tenté de lui tenir compagnie. C'était sans compter la rigueur et la sévérité de la préceptrice : mon amie avait besoin de repos et ma présence l'en aurait privé ! Je fis contre mauvaise fortune bon cœur et je me repliai dans ma propre chambre en me demandant pourquoi cette étrange Mlle Gubéran me battait froid en toutes circonstances.
En milieu de matinée, après que Ninon eut terminé de faire le ménage dans notre aile, je vis la souffrante s'introduire discrètement dans ma chambre alors que j'étais assis sur le rebord de la fenêtre, un livre à la main.
«- Qu'est-ce qu'il se passe, demandai-je en la voyant se faufiler ainsi en chemise de nuit.
- Chuuut, me répondit-elle en posant son index sur ses lèvres fines. Suis moi. Mais retire tes chaussures pour ne pas faire de bruit. »
Je descendis de mon perchoir et ôtai mes souliers. Nous passâmes par la salle de bain puis par leur chambre avant de nous diriger vers la porte du couloir. Ma camarade jeta un coup d'oeil pour vérifier que personne ne se trouvait dans les parages puis elle me fit signe de la suivre d'un geste de la main. Nous remontâmes le corridor pour nous approcher de la salle de cour. La voix d'Ysilde résonnait sans qu'on ne parvint à comprendre ce qu'elle disait.
Églantine s'éloigna de la porte et se dirigea vers celle qui menait aux appartement de la préceptrice. Quand elle posa la main sur la poignée, je ne pus me retenir de lui demander ce qu'elle faisait. Une nouvelle fois, elle posa son index sur sa bouche et ouvrit la porte. Elle agrippa ma main et m'attira avec elle dans l'espace privé de sa professeure.
Nous débouchâmes sur un petit boudoir qui faisait office de salon privatif. L'endroit était sobrement meublé : un guéridon en chêne recouvert d'une nappe brodée sur lequel trônait un vase de fleurs séchées. Deux ou trois chaises, un fauteuil placé devant un secrétaire et une petite commode complétaient l'endroit. Sur notre droite, une porte menait directement à la salle de cours. On y entendait Ysilde Gubéran évoquer les obligations d'une femme envers son époux. Une de ces leçons de morale et de bonnes manières dont la Troisième République se régalait.
Mais Églantine ne s'attarda pas et m'entraîna de nouveau à sa suite. Nous ouvrîmes la porte de gauche et nous engouffrâmes dans la chambre avant que ma complice ne referma derrière nous.
Tout comme le boudoir, nous étions dans une pièce meublée du strict nécessaire : un lit à deux places en bois clair - privilège de son statut car nombre des employés des grandes maisons devaient se satisfaire d'une literie en fer – deux tables de chevet avec leurs lampes électriques et une armoire en chêne dont les portes étaient sculptées de motifs floraux.
À la façon assurée de se mouvoir d'Églantine, je devinai qu'elle n'était pas à sa première intrusion dans les appartements de la préceptrice. Elle contourna le lit et s'approcha de la table de chevet située à la droite. Je la suivis, intrigué. Quand elle se pencha pour ouvrir le petit meuble, la porte séparant la salle de classe du boudoir s'ouvrit et des pas frappèrent le plancher.
Instinctivement, j'entraînai mon amie sous le lit pour nous cacher. Mon cœur s'emballa. J'avais l'impression que les battements qu'il produisait faisaient plus de bruit que le claquement des talons de la préceptrice. Durant ce qui me parut une éternité et demie, je me suis vu découvert par la Gubéran. Toutes les excuses qui me venaient en tête n'allaient pas m'épargner la morsure des lanières de cuir d'un martinet sur mon délicat fondement. Je maudissais Églantine de m'avoir entraîné dans cette aventure.
Et puis les pas s'éloignèrent et la porte entre la salle d'étude se referma. Pendant une bonne minute, nous demeurâmes sous le lit.
«- C'est bon, on peut sortir de la dessous, me murmura la meneuse de cette expédition.
- J'espère que tu nous fais pas prendre autant de risques pour une broutille. Ça ne pouvait pas attendre qu'elle soit partie au village ou je ne sais où pour s'introduire chez elle comme des monte-en-l'air ?
- Hum, si. Mais ça aurait tellement moins drôle, me rétorqua-t-elle avec un immense sourire sur le visage.
- Tu es folle ! Non, non, tu n'es pas folle. VOUS êtes folles toutes les deux ! Je suis sur que Margot est au courant.
- Évidemment... Mais n'as tu jamais rêvé d'être Arsène Lupin ou Fantômas ?
- Et quel sera notre butin, si nous ne nous faisons prendre par les autorités du château ?
- Attends, dit-elle en se penchant vers la table de chevet. »
Elle ouvrit la petite porte sculptée et s'empara d'une boite en acajou et le posa sur le lit. La boite devait faire une dizaine de centimètres de large et une vingtaine de long.
«- Une boite à bijoux ? La belle affaire ! Je me doute bien que Mademoiselle Gubéran, sous son aspect austère, ne se prive pas de petites fantaisies toutes féminines. Risquer le fouet pour ça...
- Non, mais sois patient. Il ne s'agit pas de bijoux, c'est bien mieux que ça.
- Son courrier ? Non, son journal intime. Elle avoue tous les crimes qu'elle a commis en Suisse. Ce qui expliquerait qu'elle ait trouvé refuge aussi loin de ses montagnes. »
Églantine tourna la petite clé dorée qui maintenait le coffret fermé puis souleva le couvercle.
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L'éveil
Historical FictionAoût 1914. Louis de Vanthenat, qui vient tout juste d'avoir seize ans, doit fuir le domaine familial menacé par l'avancée des troupes allemandes. Avec sa mère, ils trouvent refuge au château de Clairefeuille, dans la région bordelaise. Là, à un âg...