Chapitre 10.1 - Ciara

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Son regard azur, hypnotique, hante mes pensées. Sa bouche m'obsède. La goûter a enclenché un torrent de sensations en moi. Cette agitation qui me secoue ne se calme pas, alimentée par les quelques messages que nous avons échangés depuis qu'il m'a laissée à l'aéroport dimanche.

— Hey oh, t'es toujours là ?

Le coup de coude de Melvin me sort de mon égarement. Je m'assieds en tailleur sur le canapé, avale une gorgée de bière, puis l'accuse en pointant la bouteille vers lui :

— C'est ta faute, t'as qu'à pas me faire parler de lui.

— Gngngn. Il te fait complètement craquer, normal que je veuille en savoir plus ! Je me rappelle pas t'avoir déjà vue dans cet état pour un mec.

— Il a un truc. Il est... captivant. Mais il habite trop loin. Les relations à distance, c'est pas ma came, assuré-je, avec autant de persuasion que possible dans le ton de ma voix.

— Les relations tout court, ma chérie.

Touchée. Quentin demeure à ce jour ma plus longue liaison. On ne peut pas dire que ce fut une grande réussite. Mel le sait mieux que quiconque, c'est lui qui m'a aidé à sortir de cette galère en terminale. Sa main saisit la mienne.

— Tu mérites d'avoir quelqu'un dans ta vie, de vivre une belle histoire d'amour. Je veux plus que tu te fasses du mal avec tous ces types que t'enchaînais.

— Moi non plus, je veux plus faire ça. Je me suis calmée, même si c'était agréable quand même, hein.

— Mouais, admettons. M'enfin, te taper plein d'inconnus, ça va un temps, non ?

— Sauf qu'avoir une relation sérieuse...

— Te fait peur. J'te connais par cœur. Mais le Niall, là, ça pourrait le faire, tu crois pas ?

— De toute façon, il a pas l'air prêt pour ça, il me l'a dit. Donc on peut oublier. En plus, Aïdan a une dent contre lui, mais je sais pas pourquoi.

— Aïdan est un con.

Il ponctue son affirmation en s'emparant de la dernière part de pizza.

— Je te signale que c'est de mon frère que tu parles, rouspété-je pour la forme, n'en pensant pas moins.

— N'empêche que c'est un con, baragouine-t-il la bouche pleine. Et on sait très bien qu'il ne faut pas l'écouter. T'en veux un bout ?

Il tend la quatre fromages sous mon nez. Je secoue la tête, un long soupir m'échappe.

— Et pour quelqu'un qui veut pas de relation, poursuit Melvin, je le trouve bien entreprenant, ton Niall.

— C'est pas mon Niall...

— Ouais, ouais. Si je résume : il se balade avec toi au loch Ness, il dort dans le même lit que toi chez ta grand-mère, il t'embrasse après une bataille de polochon...

Mon ami interrompt son énumération, ses sourcils se haussent.

— Nan mais sans déconner, vous taper dessus avec des oreillers. Vous êtes des gosses. Bref, vous êtes à deux doigts de faire des folies de vos corps, mais monsieur se la joue sentimental avec une jolie phrase. Après, il t'emmène chez lui, mais vous vous la jouez distance de sécurité, et vous passez la semaine à discuter par message. Il est...

— Pas intéressé, le coupé-je. C'est juste le temps que le mariage arrive. Je suis sûre qu'après, il m'oubliera.

— Personne peut t'oublier, ma biche.

Je lui jette un coup d'œil blasé avec l'envie soudaine de lui ébouriffer sa tignasse noire mal coiffée.

— Il va surtout se souvenir de moi comme la nénette qui l'a dragué. J'ai pas pu m'empêcher de me la jouer aguicheuse avec lui, comme en boîte avant. Je lui plais, je le sais, je l'ai vu, je l'ai aussi senti.

— C'est ce que j'ai cru comprendre, s'esclaffe-t-il. Au moins, t'es fixée, il est pas gay. Dommage, d'ailleurs, j'aurais pu tenter le coup pendant la p'tite sauterie de ton frère.

— Pff. Il a déglingué les verrous que je mets pour me contrôler, je vole en éclats près de lui. C'est très problématique.

— Alors, pourquoi tu lui écris ?

— Nous devenons amis, je crois.

Mel affiche un air perplexe. C'est qu'il me connaît bien, le bougre. Ses yeux sombres me fixent. Lui qui paraît tout juste la vingtaine avec son visage de minot prend d'un seul coup plusieurs années.

— Ami, ouais, c'est ça. Rappelle-moi comment était ce baiser, quand vous étiez prêt à vous désaper dans ton lit ?

Intense. Merveilleusement délicieux. Un de ceux qui vous coupent le souffle alors que votre cœur s'emballe. Un de ceux qui vous donnent l'impression d'exister comme jamais.

Mes dents malmènent ma lèvre. Je ramène mes jambes l'une contre l'autre pour endiguer la vague de chaleur qui se répand dans mon bas-ventre.

— Chaud, chuchoté-je.

— Voilà. Nous deux, on est amis. Plus que ça, même. Pourtant, t'as jamais échangé un seul baiser avec moi.

— T'es gay.

— Mais ça, tu le savais pas au début.

— M'oui...

— Vous allez pas rester potes longtemps.

Son rictus diabolique m'exaspère. Mais il a raison. Comment pourrais-je lier une amitié avec un homme qui m'attire autant ?

— Tu dois pas aller bosser ?

— Si. Tu viens ?

— T'es dingue ?!

M'imaginer de nouveau dans ce lieu me rend nerveuse. Même si la discothèque où il mixe n'est pas celle que je fréquentais le plus pour mes nuits de débauche, les souvenirs que cela me renvoie amènent une vague d'amertume.

— J'plaisante. Mais c'est ce qui est prévu à la fin de l'enterrement de vie de célibataires. T'auras pas le choix.

— Mais je serai pas seule.

— Il sera là.

— J'suis clairement dans la merde.

Chaque week-end, un homme différent. Chaque fois, un fort sentiment de contrôle. Je m'abreuvais de mon emprise sur eux. Le besoin de savoir que je plaisais m'obnubilait, me donnait la sensation d'être aimée. Je m'étais juré de ne pas recommencer, mais ma rencontre avec Niall a réveillé mes vieux démons.

— T'as dépassé ça, Ciara.

— Ça se trouve, il me trouve juste bonne à...

— Arrête. C'est lui qui a dit non, alors qu'il en avait autant envie que toi. Laisse-toi du temps. T'as pris l'habitude d'avoir les hommes en un claquement de doigts, mais une relation, ça se construit.

Ai-je envie d'une relation avec Niall ? En suis-je seulement capable ?

— Je viens pas avec toi ce soir.

— Fais comme tu le sens, ma belle. Moi, je dois filer.

Melvin s'éclipse après m'avoir embrassé le front et salué Coggy, rituel attendrissant à sens unique avec mon poisson. À côté du bocal trône la photo prise par Niall, mise en valeur dans un cadre. Mon soupir s'échoue sur mes genoux alors que je replie mes jambes contre ma poitrine. Niall. Sa retenue. Son relâchement. Sa marche arrière. Notre rapprochement, chez lui, quand je l'ai remercié pour ce cadeau en déposant une bise sur sa joue. Nos bouches qui se frôlent presque. Ses doigts qui effleurent une nouvelle fois mon visage. Sa présence qui m'a manquée à peine les terres écossaises quittées.

Je récupère mon téléphone, abandonné sur la table basse. Ma conversation avec Niall cesse au bonne nuit de la veille. Après avoir parlé de lui toute la soirée, j'ai envie de prendre de ses nouvelles.

[Salut toi. Quoi de prévu ce week-end ?]

Le message s'affiche en lu après quelques secondes, puis les trois points caractéristiques d'une réponse clignotent. Seulement, rien ne vient. Je rage, agacée contre moi-même d'être dans une telle attente pour un échange aussi banal.

ღ ℬ𝓸𝓷𝓷𝓲𝒆 ℋ𝓲𝓰𝓱𝓵𝓪𝓷𝓭𝓼 ღOù les histoires vivent. Découvrez maintenant