Chapitre 6.2 - Ciara

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— Bon, tu me montres comment marche ton engin ?

Mes paupières papillonnent, mes joues chauffent. J'aimerais ravaler mes mots. Son sourire en coin n'aide pas. Il va penser que je l'ai fait exprès.

OK, un peu.

— C'est pour ça qu'on est là, non ?

Il avance vers moi pour passer la sangle de son appareil autour de mon cou. Un frémissement me secoue quand nos regards entrent en contact. Mon cœur palpite plus vite.

Rapproche-toi encore pour voir...

— Faut toujours le porter en collier ?

Aye, pour l'avoir bien en main et éviter qu'il ne finisse éclaté au sol. Au cas où mon engin serait trop lourd pour toi.

Je ne parviens pas à contenir mon hilarité. Il a osé. Une rougeur teinte ses joues, ses doigts froissent ses cheveux en bataille.

— Je vais te montrer comment le manier.

Niall, taquin, passe dans mon dos, ma bouche devient pâteuse. Il place son outil entre mes mains et pose les siennes par-dessus pour accompagner ses explications. Ma peau brûle à son contact, mon pouls tambourine plus fort quand son souffle s'échoue derrière mon oreille.

— Regarde à travers le viseur pour cadrer. Tu règles le zoom et la vitesse d'obturation de ta main gauche, comme ça.

Quand ses doigts caressent les miens, ma vision se trouble. Faire le focus sur l'élément à photographier va devenir une tâche compliquée s'il reste près de moi.

— Quand t'es prête, tu appuies sur ce bouton, ici. Le tout est de faire attention aux détails, genre éviter de prendre la poubelle dans le décor. Pour les groupes, tu dois veiller à ne couper personne. Il n'y a rien de pire que d'avoir uniquement la moitié de tata Ginette qui piquera un scandale d'être tranchée en deux.

Je rigole à nouveau. L'oxygène a du mal à parvenir jusqu'à mon cerveau. Son parfum profond et envoûtant imprègne l'air, enveloppant mes sens dans une chaleur enivrante. Mon corps s'appuie contre son torse. Les secondes s'écoulent sans que l'un de nous bouge. Sa respiration rapide caresse ma peau, le temps s'arrête. D'un coup, il me libère de son étreinte, laissant un vide entre nous et une sensation de froid.

Je photographie le loch pour m'entraîner. Niall s'approche du bord et se tient droit face à l'étendue bleue. Il sort un paquet de cigarettes de sa veste. Je le contourne, de façon à voir son profil pour prendre un cliché de lui. Le regard dans le vague, la fumée s'échappant de sa bouche, le pouce enfoui dans une poche de son jean, cet homme est captivant. Comme s'il était doté d'un super pouvoir lui permettant d'entendre le son du déclencheur, il se tourne vers moi sitôt le clic émis. Mon cœur chavire avec le sourire qu'il me lance.

— On fait un tour ? propose-t-il.

— Avec plaisir.

Nous longeons le lac, puis empruntons un sentier sur la rive la plus sauvage. Je poursuis mon apprentissage en capturant ces paysages lumineux qui me plaisent tant. Nous marchons dans les bois et le long des cours d'eau. Une véritable randonnée dans ce lieu splendide, durant laquelle nous parlons de choses futiles. Nous aurions pu pousser jusqu'aux cascades de Foyers si le soleil n'avait pas commencé à décliner, indiquant le moment de faire demi-tour.

— T'as l'air de bien connaître le coin, commente Niall.

— Oui. Je me promenais souvent ici avec ma mère quand on venait chez seanmhair.

— Oh... On aurait pu aller ailleurs si j'avais su.

— Ça me rappelle de bons souvenirs, t'en fais pas. Mais je vais pas t'embêter avec cette histoire.

— Au contraire, si tu as besoin d'en parler, tu peux.

Sa présence apaisante me met en confiance. L'endroit, chargé émotionnellement, me pousse à évoquer ce sujet douloureux.

— J'avais quatorze ans quand la maladie l'a emportée. Mon père n'a rien trouvé de mieux que de quitter le pays précipitamment. Faut croire qu'il était pas si dévasté que ça, parce qu'il s'est vite mis en couple avec la mère d'Aïdan et on a emménagé ensemble. Je me suis retrouvée avec un frère dans ma vie, plus ou moins présent, à la place de ma grand-mère maternelle que j'adorais.

— Ça a dû être terrible.

— Ouais... Ça a été une période compliquée. Et toi, tu as aussi évoqué la perte de tes parents quand on s'est revu à la soirée de fiançailles.

Aye. J'avais dix-sept ans. Accident de la route. Comme j'étais pas majeur, les parents de Skye m'ont accueilli. Ils étaient amis depuis toujours avec les miens. À l'époque, elle avait quinze ans. On était déjà comme frère et sœur, alors ça a pas changé grand-chose, sauf qu'on se voyait encore plus qu'avant. Je suis parti sur Londres avant elle pour les études, elle m'a rejoint quand elle a fini ses années collège. Mais j'ai décidé de revenir vivre dans le coin y a environ deux ans. Le pays me manquait. T'as vu comme c'est beau !

Il balaie l'horizon du bras, une expression indéchiffrable au visage.

— N'empêche, j'ai mis ce t-shirt pour rien, on n'a pas croisé Nessie, plaisante-t-il.

Je ris comme une andouille. Nous changeons de sujet et parlons de nos boulots. Nos conversations restent fluides, naturels. Parfois, nos mains s'effleurent, déclenchant des picotements le long de ma colonne. Je m'amuse à photographier n'importe quoi. Les éclats de lumière sur l'eau entre les branches, un morceau d'écorce, un bout de montagne ou de château, les yeux de Niall qui me fixent.

— Ça te dit une photo souvenir ? demande-t-il lorsque nous revenons à notre point de départ.

Aye ! T'arrives à cadrer correctement avec l'appareil à l'envers ?

— Qu'est-ce que tu crois, j'suis un pro !

Il immortalise ce moment en nous photographiant, dos au loch Ness.

— Allez, en route ! Ta grand-mère doit être impatiente de te voir, et moi, je suis attendu.

Dans la voiture, il tourne la clé, mais le moteur ne démarre pas. Il pâlit.

— Tu ne vas pas sérieusement me faire le coup de la panne ? m'indigné-je faussement.

— Crois-moi, je préférerais. Ça m'assurerait que ce tas de ferraille reparte...

Après plusieurs essais infructueux et quelques jurons bien sentis, son Austin daigne enfin se mettre en branle. Dommage, j'aurais aimé que cette journée ne s'arrête jamais.

ღ ℬ𝓸𝓷𝓷𝓲𝒆 ℋ𝓲𝓰𝓱𝓵𝓪𝓷𝓭𝓼 ღOù les histoires vivent. Découvrez maintenant