Chapitre 3.2 - Ciara

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— Merde, lâche-moi, Aïdan ! répliqué-je sèchement. Tu me fais mal.

Je me dégage de sa prise en le fusillant du regard.

— Évite de te donner en spectacle ce soir, crache-t-il d'un ton méprisant.

— Non mais tu me prends pour qui ? m'insurgé-je.

— Je préfère ne pas répondre.

— T'es vraiment un connard quand tu t'y mets !

— Modère tes propos, p'tite sœur. J'ai juste pas envie qu'il t'arrive quelque chose.

Haud yer wheesht* !

Mon court séjour chez seanmhair a suffi pour que je récupère quelques habitudes de langage. Mes pas m'entraînent vers l'extérieur avant que je ne lui crie dessus. Ce n'est pas le lieu adéquat et je ne veux pas me donner en spectacle, comme il dit si bien. Ni faire de la peine à Skye, que j'aime vraiment beaucoup. Après quelques bousculades, l'air frais remplit mes poumons. Mon sang bouillonne.

— Rha, mais quel bawbag* !

— Tu vas attraper la mort comme ça.

Je sursaute en entendant cette voix profonde. Niall se tient négligemment dos contre le mur, une cigarette entre les doigts. Une chair de poule parsème ma peau d'un coup, certainement à cause du froid saisissant. J'aurais dû mettre ma doudoune.

C'est ça, Ciara, le froid... Même toi tu n'y crois pas.

Il ne me lâche pas du regard. Ma tension s'apaise, mon corps se réchauffe. Cet homme réveille chez moi une part d'ombre que j'essaie de refouler.

— J'avais besoin de... prendre l'air, me justifié-je.

— Grand frère n'a pas apprécié ta petite danse ?

— Et toi, tu as apprécié ?

Mes dents saisissent ma lèvre par réflexe. Une étincelle brille dans ses prunelles claires, mon démon intérieur jubile à l'idée de reprendre du service. Au fond, j'ai pourtant juste envie de me foutre des baffes.

J'observe le moindre de ses faits et gestes. Sa main approche la fin de sa clope vers sa bouche charnue. Il tire une longue taf et la fumée expirée masque brièvement son visage. Son bras s'étend ensuite jusqu'au cendrier près de lui où il écrase le mégot. Son dos se décolle de son appui, il se met en marche, comme mon souffle, retenu depuis quelques secondes.

— Reste pas dehors, tu vas finir congelée .

Il disparaît à l'intérieur sans plus d'intérêt à mon égard. J'aurais aimé poursuivre notre échange, mais on dirait que l'ours a pris la fuite.

Je secoue la tête pour me remettre les pensées en place et rentre à mon tour. Un coup, j'ai l'impression de lui faire de l'effet, la minute suivante, c'est comme si je lui étais indifférente. Je ne parviens pas à décider de ma préférence entre les deux situations. Ça m'agace, je n'ai pas l'habitude que les mecs me résistent. Même si je suis censée avoir tiré un trait sur cette partie de ma vie, la contrariété me retourne l'estomac.

Mes yeux ne peuvent pas s'empêcher de le chercher dans la salle. Il a rejoint Skye et deux hommes près du buffet. Son rire me parvient comme une mélodie chaleureuse quand je me rapproche.

Aïdan m'a presque coupé l'appétit, le cocktail salé ne me donne plus envie. En revanche, je remarque des mignardises et m'empare d'un éclair au chocolat. Me tournant face à Niall, je mords avec délicatesse dans la pâte à choux, puis essuie la crème restée sur le coin de mes lèvres avec mon doigt. Je le lèche lentement, sans le quitter du regard. Il ne laisse transparaître aucune émotion, à croire que mon sex-appeal a rouillé comme une vieille carrosserie.

— Salut, Ciara ! Ça fait un bail qu'on s'est vu !

Un des potes de mon frangin vient se coller à moi. Si près que j'ai un mouvement de recul.

— Tu as encore un peu de...

Il pose son pouce sur le coin de ma bouche, mais je le repousse d'un revers de la main. Finalement, j'attire quand même, bien qu'il ne soit pas celui que j'ai en ligne de mire.

— Bas les pattes, Kevin.

— C'était pour aider. Alors, ça fait quoi de savoir que son frère va se marier ? Ça te donne pas envie de te caser ?

— Absolument pas. Je suis très bien seule, avec toute ma liberté.

— Si t'as envie de t'amuser, je suis pas contre non plus.

Ma mâchoire se contracte. Un furieux besoin de le rembarrer s'empare de moi. Heureusement pour lui, la témoin de Skye, une femme avec qui elle bosse au magazine, arrive à ma rescousse, ou plutôt à la sienne.

— Viens donc par là, toi. Les filles veulent connaître les petits travers de ton frère pour avoir des anecdotes à raconter à l'enterrement de vie de jeune fille et garçon.

Elle m'entraîne loin du lourdaud, pour mon plus grand soulagement.

— Merci, Penny. Tu lui as sauvé les miches. Il a tendance à me taper sur le système.

— J'ai tout de suite vu à qui on avait affaire. Sinon, dis-moi, tu craquerais pas pour l'autre témoin ?

Est-ce que je craque pour Niall ? Non... Je n'ai absolument pas pensé à lui cette semaine. Je ne viens pas du tout de tenter de l'aguicher en mangeant une pâtisserie.

— Pas mon genre.

— Ah, j'ai pourtant cru, vu les œillades que tu lui lances...

— Tu voulais pas des potins sur mon frère ?

Je n'ai vraiment pas envie de parler de l'Écossais. Je dois le sortir de ma tête.

Après quelques souvenirs évoqués, je fausse compagnie au groupe pour passer un peu de temps avec mon père et lui raconter mon week-end chez seanmhair. Je croise plusieurs fois le regard intense de Niall qui, à mon grand regret, m'évite le plus possible.

Passé minuit, seuls quelques amis restent encore. Lui n'est plus là. Une légère tristesse s'empare de moi, j'aurais aimé lui reparler. J'en aurais sûrement l'occasion un autre jour d'ici le mariage.

Et tu lui diras quoi ? À quel point tu adorerais l'emmener dans un endroit plus intime ? Définitivement pas une bonne idée.

Je récupère mes affaires pour m'éclipser, embrassant le couple phare au passage sans m'attarder. Je marque un arrêt quand je passe la porte. Ma main fouille dans mon sac à main à la recherche de mes clés, enfouies au fond.

— Tu as perdu quelque chose ?

La voix enveloppante de Niall glisse sur moi. Mon cœur loupe un battement tandis que mon ventre papillonne. Je brandis mon trousseau comme un trophée en lui offrant mon plus beau sourire.

Sans rancune pour m'avoir ghosté, hein !

— Trouvé !

— Super. Ta caisse est magnifique, en passant. Ça doit être le pied à conduire.

— Carrément. Tu as besoin que je te ramène ?

— J'attends Skye, elle va pas tarder.

Douche froide. Merci, ça remet les idées en place. Je ne comprends pas son changement d'attitude à mon égard. Quelques secondes s'écoulent dans le silence, sans qu'il ne détourne son attention.

— OK. Alors, bonne nuit, monsieur l'ours !

— Bonne nuit, Ciara.

Mon prénom entre ses lèvres fait palpiter mon pouls un peu plus vite, des picotements me titillent. Je soutiens encore un peu son regard, puis m'éclipse sans un mot de plus.

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*Haud yer wheesht : expression pour expliquer à son interlocuteur qu'il raconte des conneries et qu'il ferait mieux de la fermer

Bawbag : trou du cul

ღ ℬ𝓸𝓷𝓷𝓲𝒆 ℋ𝓲𝓰𝓱𝓵𝓪𝓷𝓭𝓼 ღOù les histoires vivent. Découvrez maintenant