Mon genre ? Elle. Totalement elle. Lumineuse, déterminée, joyeuse. Magnifique.
Qu'est-ce que j'ai dans le crâne ? Rester caché me convenait. C'est la faute de Skye et de ce qu'elle m'affirme.
« Vous iriez tellement bien ensemble ! Sa mamie t'a clairement adopté, c'est un bon point. Accepte ce contrat, viens à Londres et passe la soirée avec elle. Je suis certaine qu'elle s'en fichera du VIH, c'est pas le genre à faire attention à ce que pensent les autres. Vis, bon sang, t'en as le droit ! »
Je sais que je n'ai aucune obligation de l'informer que j'ai le VIH, puisqu'il est en sommeil. Sauf que si je le lui cache au début, comment réagira-t-elle plus tard ? Quand je lui avouerai, si elle ne fuit pas, elle en parlera sûrement à ses amis, à Melvin, et le cauchemar recommencera. Je ne supporterais pas que les jugements atténuent sa joie de vivre. Heureusement que Skye tient sa langue et ne raconte pas tout à son futur mari. Si Aïdan avait appris que Ciara et moi avons échangé un baiser – presque plus que ça –, je ne serais pas assis là à contempler cette femme au charme piquant.
Tous ces « si » ne m'avancent à rien. Changer de sujet de conversation me paraît opportun.
— Tu vas être contente, j'ai enfin pris rendez-vous pour faire réparer ma voiture.
— Eh ben, c'est pas trop tôt ! Faut pas jouer avec ça. Ça m'embêterait que tu retombes en panne au milieu de nulle part...
Sa moue dubitative me rend taquin.
— Peut-être qu'une femme s'arrêterait encore pour m'aider.
— J'en étais sûre ! s'exclame-t-elle en tapant la table. C'était un coup monté. Tu as intentionnellement saboté l'Austin.
— Ce que tu prétends ne tient pas la route, pouffé-je. Quelle était la probabilité qu'une femme s'arrête et qu'en plus elle soit mécanicienne ?
— Je sais pas. T'aimes pas que les femmes viennent à ton secours ?
— Si la femme en question a les cheveux bleus, j'ai rien contre.
Bordel...
Une gorgée de bière et quelques cacahuètes me font taire. Mon cœur me hurle de lâcher prise. Ma tête refuse toujours d'envisager une relation.
— J'ai eu une riche idée le jour où j'ai décidé de me les teindre.
À son tour, elle porte le verre à ses lèvres. Elle regarde ailleurs et moi, je ne vois qu'elle. La rougeur sur ses joues, son cou gracile, la bretelle noire de son soutien-gorge dévoilée par son t-shirt qui tombe sur le haut de son bras.
— Au fait, je t'ai apporté le bouquin que je lisais l'autre fois dans l'avion, déclare-t-elle en fouillant dans le sac à ses pieds. Tu m'avais dit que ça t'intéressait.
Elle me tend un ouvrage à la couverture rigide avec une femme dessinée et des motifs colorés.
— J'le lirai, promis. Ça a l'air enrichissant, indiqué-je en feuilletant les pages pleines de références.
— Pour de vrai ?
— Évidemment. C'était pas des paroles en l'air.
— Ça me touche que tu sois sensible à la cause des femmes. Et, heu... du coup, raconte. Ça se passait comment avec tes... enfin...
Ses dents mordillent sa lèvre, ses doigts galopent sur le bois. Pour l'apaiser, je recouvre sa main de la mienne, le temps qu'une décharge d'adrénaline me traverse.
— Demande-moi ce que tu veux, assuré-je en m'enfonçant dans la chaise.
— Ça m'regarde pas.
— Ça me gêne pas de te parler de mes ex.
Je me laisse happer par ses iris qui me transpercent. Elle hoche la tête. Autant être honnête, du moins, autant que possible pour le moment.
— Mes relations duraient pas longtemps. Avec les contrats que j'avais dans la mode et avec les sponsors, je rencontrais beaucoup de monde. On passait de bonnes soirées, souvent arrosées, mes relations étaient éphémères. La seule fois où je suis resté en couple plusieurs mois, je terminais l'école et j'me lançais à mon compte. Elle était très jalouse, elle supportait pas que je prenne des femmes en photos. Imagine quand elles étaient en maillots de bain... On a rompu à cause de ça. Depuis que je suis revenu à Fort William, je suis sorti avec personne. Enfin voilà, j'ai pas trop d'exemples à te donner, n'oublie pas que je suis un ours. Je sors à peine d'hibernation. Et toi ?
Elle allait répliquer, même rire, j'en reste persuadé. Seulement, son teint blêmit à ma question.
— T'es pas obligée de répondre.
— Disons que j'aimais m'amuser, confie-t-elle. Mais j'en ai fini avec ça.
Sa bouche se tord. Ses doigts entortillent des mèches pendant qu'elle termine sa bière. Sa réaction avec l'homme qui la draguait quand je suis entré démontre pourtant qu'elle ne se laisse pas faire, alors pourquoi cette gêne soudaine ? Quelque chose lui est peut-être aussi arrivé par le passé. J'attendrai qu'elle ait confiance en moi pour m'en parler, si elle veut. Après tout, je ne lui révèle pas tout de mon côté.
Le monde autour de moi avec son brouhaha ambiant réapparaît. De nombreux clients s'agglutinent le long du comptoir en bois brut, illuminé par de gros spots industriels accrochés à des poutres sombres. Je détourne la conversation.
— T'as toujours voulu être mécanicienne, de ce que j'ai compris chez ta grand-mère ?
Ciara s'anime, évoque sa passion avec engouement. Je masque un sourire en grattant ma barbe. Son monologue s'arrête quand elle capte que je me marre.
— Pourquoi tu me regardes comme ça ?
— C'est mignon de t'entendre causer joint de culasse ou vilebrequin.
— Oh, ça va, raille-t-elle. T'étais pas mieux l'autre jour en me montrant comment prendre une photo.
Les notes de son rire discret s'immiscent dans ma tête.
— C'était une chouette journée.
— Parle-moi un peu de ton enfance là-bas.
Je lui relate ma vie banale avec des parents aimants, jusqu'à leur décès. Nous habitions le même village que Skye. On était tout le temps fourrés ensemble.
— On avait construit une cabane, notre repaire. Elle me racontait qui l'embêtait et je lui promettais d'aller la défendre.
— Tu jouais au chevalier ?
— En vérité, absolument pas. C'est elle qui voulait faire manger de l'herbe à ceux qui n'étaient pas gentils avec moi.
— Ça lui ressemble bien, rigole Ciara. Quand elle est venue étudier à Londres, vous avez habité ensemble du coup ?
— On l'a hébergée avec mon coloc, le temps qu'elle se trouve un appart.
— Entre vous, il s'est jamais rien passé de plus ?
— Non. Elle est comme ma sœur. Mais Aïdan supporte pas notre lien. Pour lui, l'amitié homme-femme n'existe pas. Il est persuadé que je veux plus.
— A dhia ! Qu'il est lourd. Il me sortait le même discours quand j'ai débarqué dans sa vie et que tous mes potes étaient des mecs.
Nous discutons jusqu'à ce que le bar se vide.
— J'ai pas vu le temps passer, m'étonné-je. Il est trop tard pour un restau... Je squatte chez Skye et Aïdan, mais ils rentreront dans la nuit, probablement demain. Je crois qu'il y a des restes dans leur frigo, si tu as faim.
L'invitation part sans réfléchir. Mon cerveau panique, mon corps se tend sous la pression immédiate. Quand elle accepte de me raccompagner, mon cœur, lui, exécute un salto.
VOUS LISEZ
ღ ℬ𝓸𝓷𝓷𝓲𝒆 ℋ𝓲𝓰𝓱𝓵𝓪𝓷𝓭𝓼 ღ
RomancePositionnez la mécanicienne pétillante près du photographe tourmenté. Déconnectez leur part d'ombre, puis pansez toutes leurs blessures. Réparez leur cœur avec un florilège d'émotions et beaucoup de tendresse. Attisez les braises, jouez sur la frust...