Chapitre 11.1 - Ciara

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Pourquoi a-t-il fallu que j'aie de l'avance ? Je ne manque aucune personne passant la porte du bar dans l'espoir que ce soit lui. Toujours rien. Mon pied tape frénétiquement le sol.

— Si ton rendez-vous te fait attendre, on veut bien te tenir compagnie.

Je jauge l'homme qui m'apostrophe de la table voisine. Clin d'œil à l'appui, il tend son verre comme s'il souhaitait trinquer avec moi. Son pote l'imite.

— Il ne devrait plus tarder, rétorqué-je sèchement.

— C'est con, je suis sûr qu'on pourrait passer du bon temps tous les trois.

Ma mâchoire se contracte. Son expression malsaine me rebute. Son crâne rasé confère une rudesse à son visage carré. L'autre type, aux cheveux blonds éparpillés autour de ses traits fins, ricane. Un frisson de dégoût m'assaille.

« J'ai un pote super jaloux de moi, parce que j'ai la chance d'être avec toi. Il t'a vue en photo et je lui ai parlé de toi, tu lui plais beaucoup. Ça te dirait qu'on s'amuse un peu avec lui ? Genre, vous faites l'amour et moi je vous regarde, je kifferais trop ! »

Cette réminiscence du passé ne m'a jamais quittée. Le style du blond me rappelle Quentin. J'étais tombée amoureuse de ce mauvais garçon qui séchait la plupart des cours de dernière année du Sixth Form et me couvrait de belles paroles. J'avais cédé pour ne pas le perdre. Quelle idiote ! Tout juste majeure et si candide. Plusieurs fois, il m'a proposé de coucher avec d'autres de ses connaissances, parce que cette expérience le rendait encore plus amoureux de moi, parce que je devais comprendre la veine que j'avais d'être autant convoitée. Et moi, comme une imbécile, je l'ai cru ! Ou je voulais désespérément y croire, tout ça pour me rebeller contre les hommes de ma famille. Seulement, je me faisais encore contrôler. Comme si je n'avais pas assez de mon père qui m'empêchait de faire un apprentissage en mécanique et de mon demi-frère aussi sur mon dos à me dire quoi faire et comment me comporter, j'ai laissé Quentin m'utiliser.

Nous allions chez lui – ses parents étaient rarement là – et il contemplait mes ébats. Moi qui n'avais jamais attiré les hommes, je plaisais. J'étais persuadée que le satisfaire ainsi renforçait notre couple. Sa façon de prendre soin de moi après, de me rappeler à quel point il m'aimait, comme j'étais merveilleuse, me rendait euphorique.

Jusqu'au jour où Melvin s'est pointé chez Quentin, alors qu'on attendait notre invité. Mon ami, que j'avais délaissé comme les autres de ma bande et qui s'inquiétait, a cogné mon compagnon à peine la porte ouverte et m'a balancé : « T'étais au courant que ton mec se fait du fric en vendant ton corps ? » Ils s'étaient battus pendant que je restais à les observer, tétanisée par ce qu'il venait de me révéler.

Celui dont j'étais amoureuse me prostituait à mon insu.

Je n'ai pas osé porté plainte et ai supplié Mel de n'en parler à personne, tant je me sentais honteuse de m'être laissée piéger, d'avoir permis de me toucher à ces hommes que je n'avais pas choisis, d'avoir offert ma virginité à Quentin qui m'utilisait. J'ai préféré enterrer cette sombre histoire au plus profond de moi-même. Ce connard a disparu et je me suis autosabotée par la suite en évitant toute relation amoureuse.

— Ça te tente vraiment pas, un coup avec nous ? C'est regrettable qu'une jolie femme comme toi boive seule.

Je n'apprécie pas le double sens de sa phrase. Mes souvenirs bouillonnent, menaçant d'exploser. Ma gorge s'assèche. Le rasé se lève et s'approche tandis que le blond reste en retrait. Mon long soupir ne l'arrête pas dans sa lancée.

— Tu permets ? Je meurs d'envie de papoter avec toi.

— Pas moi. Tu peux retourner à ta place.

Ce crétin s'installe quand même sur la chaise près de moi. Erreur. Mon geste de fureur part sans prévenir.

— Fais pas ta mijaur...

Il s'étrangle quand j'empoigne son entrejambe avec force.

— T'as pas l'air de saisir, mec, commencé-je avec gravité. Si tu veux pas que je te la broie, dégage du bar.

— Si j'étais toi, j'écouterais la dame.

Je lâche les parties de l'intrus et tourne le visage vers cette voix, celle qui résonne dans ma tête inlassablement. Niall...

— Pauvre tarée... déclare l'homme en s'enfuyant.

Mon ours embrasse ma joue. Une subtile décharge se répand sur ma peau, se diffuse jusqu'à mon cœur. Il effleure mes doigts sur la table en s'asseyant. Mon trouble bifurque vers lui.

— Navré d'être à la bourre. Tu vas bien ?

La colère qui m'a submergée un instant plus tôt s'ébranle. Mes palpitations se calment.

Aye. T'as sauvé l'entrejambe de ce type, tu dois être son héros.

— Tu m'impressionnes. Je me rappellerai de jamais t'énerver.

— T'as raison, fais gaffe.

— Mais t'es sûre que ça va ?

Sa prévenance parvient à m'apaiser. Un peu. Le cauchemar vécu avec Quentin, qui me prêtait beaucoup d'attention aussi, ne me quitte pas. Ma méfiance envers la gent masculine demeure bien présente.

— C'est gentil de t'inquiéter. Disons qu'il a remué un ancien souvenir. Sauf que, pas d'bol pour lui, je me laisse pu faire.

— Parce que c'était pas le cas avant ?

— C'est... compliqué. Tu bois quoi ?

Il gratte sa barbe taillée proprement, puis glisse les doigts dans ses cheveux coiffés avec soin, malgré quelques mèches rebelles qui ne tiennent pas en place. Son regard profond m'interroge, pourtant il ne creuse pas et hèle un serveur. Je m'attarde sur le bouton défait de sa chemise noire avant de remarquer son sourire en coin.

— Ton shooting s'est bien passé ? lancé-je la conversation pour éviter de revenir sur mon cas.

— Ça peut aller. Même si pour mon retour dans le milieu sur Londres j'aurais préféré photographier... autre chose.

— Parce que c'était quoi, là ?

— Des maillots de bain.

La moue qu'il affiche me déclenche un rire timide. Toutefois, savoir qu'il a admiré des femmes à moitié nues pendant des heures me contrarie.

— Ça devait pas être si désagréable que ça, si ? le sondé-je.

— Avant, ça m'aurait pas dérangé. Aujourd'hui, c'est différent.

— En quoi ?

— C'est... compliqué ?

— OK, tu m'as eue. Donc, t'aimes pas regarder les filles en maillots de bain ?

— Si, mais pas n'importe lesquelles.

Une vague de picotements parcourt mon corps. Nos consommations arrivent et il en profite pour détourner le sujet en évoquant ses reportages dans les plaines d'Écosse.

— Au fait, Seanmhair me parle sans arrêt de toi depuis que tu lui as apporté la photo. Sa porte te sera toujours ouverte, c'est quand tu veux.

Il s'étouffe avec sa gorgée de bière. Son rire gêné et ses joues rouges m'attendrissent.

— Désolé, mais elle est beaucoup trop âgée pour moi.

— Dommage, elle a vraiment le béguin pour toi.

— Dommage, elle n'est pas mon genre.

— Et c'est quoi, ton genre ?

Ses iris azur me fixent avec intensité. Aucun autre mot ne franchit ses lèvres affolantes. Il se contente de sourire. Aurai-je la réponse à ma question dans la soirée ?

ღ ℬ𝓸𝓷𝓷𝓲𝒆 ℋ𝓲𝓰𝓱𝓵𝓪𝓷𝓭𝓼 ღOù les histoires vivent. Découvrez maintenant