Chapitre 7.2 - Ciara

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— Eh bien, elle n'est pas sourde... raille Niall. Vous n'avez pas de voiture pour me ramener à Fort William, par hasard ?

— Nope. Le vieux tas de ferraille de seanmhair pourrit dans son garage, il ne tiendra pas la distance. Rentrons.

À l'intérieur, ma grand-mère nous ressert déjà un verre. Elle montre toutes ses dents et déclare gaiement :

— Par contre, jeune homme, il va falloir dormir avec ma Ciara. Je n'ai pas d'autre lit disponible, à part le mien.

Seanmhair ! J'ai pas dit que j'étais d'accord pour partager mon lit.

Il me plaît beaucoup, ce n'est pas une bonne idée.

— Je peux me contenter du canapé, ne vous en faites pas, assure Niall.

— Ne dites pas de sottise. Ciara, tu laisserais ce pauvre garçon dormir sur mon vieux canapé inconfortable alors que tu as un grand lit ? Hors de question !

Lui, moi, mon lit...

Oh, grand-mère, tu ne m'aides pas.

— En plus, j'ai fait beaucoup trop de Stovie*. Il y en a assez pour tout le monde.

— Comment refuser ? lâche Niall, d'un ton morne. Laissez-moi prévenir mes amis que je ne pourrai pas les rejoindre.

La tournure que prend cette soirée n'est pas du tout celle que j'avais envisagée. Une boule se forme dans mon estomac. Passer la journée avec lui, c'est une chose. Passer la nuit à ses côtés, c'en est une autre. Je l'ai volontairement émoustillé sur Londres, mais je n'avais aucunement l'intention de me retrouver avec lui au lit. Du moins, pas dans ces circonstances, pas si vite, plus maintenant...

— Tu nous as dégoté un beau spécimen, ma chérie, me confie seanmhair tandis que Niall sort téléphoner.

— Grand-mère, arrête. Tu vas le mettre mal à l'aise.

— Alors, je compte sur toi pour le détendre.

— Mais... non ! Que vas-tu t'imaginer ?

— Vous êtes bien assortis, c'est tout. Et il est vraiment charmant.

— Je crois que c'est moi qui vais dormir dans le canapé.

— Mais quelle idée ! Il y a de la place pour deux dans ton lit, et comme ça, si tu as froid, tu auras quelqu'un pour te réchauffer !

Elle me sourit tendrement, prise dans son rêve de me voir heureuse avec un homme. Un profond soupir m'échappe. Si elle savait ce que je faisais de mes soirées il n'y a pas si longtemps...

Je l'embrasse sur le front pour clore cette discussion et m'attelle à mettre le couvert sur la table du salon.

— Niall, vous revoilà ! Allez donc vous installer.

— Laissez-moi d'abord vous aider, propose-t-il.

Il me rejoint avec le plat de ragoût. Nos mains se frôlent. Des milliers d'étincelles viennent me chatouiller la peau. Mes yeux ne cessent de croiser les siens, éclatants, avec quelques petites rides sur les côtés. Tout mon être frissonne.

Non, vraiment, je ne la sens pas du tout cette nuit à venir.

Si, au départ, l'idée de m'amuser avec lui m'a titillée, désormais, j'ai plutôt envie de me protéger. Je ne sais pas encore si je vais réussir à rester moi-même ou si ma part dévergondée va prendre le dessus. Ça pourrait tout foutre en l'air, alors qu'on s'entend si bien. Skye est la meilleure chose qui soit arrivée à mon frère, bien que l'inverse ne soit pas le cas. Je ne veux pas lui causer de la peine.

— Alors, Niall, comme ça, vous êtes photographe ?

Nous nous installons pour manger, lui devant moi et ma grand-mère entre nous deux, en bout de table. Il nous évoque avec entrain son métier ainsi que son école à Londres avec passion, je bois ses paroles. Sa voix chaleureuse m'enveloppe dans une douce étreinte. Le temps se suspend, mes sens se troublent.

— Comment cela se fait-il que vous n'ayez jamais rencontré ma Ciara avant ? Aïdan est avec Skye depuis quelques années déjà.

— Vous savez, Eilidh, je ne suis pas très proche d'Aïdan, et j'ai quitté Londres il y a un moment.

— Vous n'avez pas des vues sur sa future femme tout de même ?

Il éclate de rire et mon cœur s'affole. Ce son se répand en moi comme une traînée de poudre qui pétarade dans mes veines. J'attends sa réponse avec impatience.

— Même si Skye est une femme incroyable, elle est comme ma sœur. Il ne s'est rien passé avec elle, et il ne se passera rien.

— Ma Ciara aussi est une femme incroyable.

Il me fixe avec intensité et la poudre explose en moi.

— Du peu que nous nous connaissons, oui, elle semble en effet incroyable.

Il baisse la tête vers son assiette et s'empresse de manger. Les dents de grand-mère ont rarement été autant visibles. Le rouge me monte aux joues.

Nous terminons la Stovie en écoutant seanmhair raconter sa jeunesse et ses conquêtes avant de rencontrer mon grand-père, parti il y a quelques années d'une maladie. C'est qu'elle aimait s'enjailler au bal ! Jusqu'à ce qu'elle croise son futur partenaire de danse pour la vie et ne fasse des pirouettes qu'avec lui. Je suis heureuse qu'elle ait connu un tel amour. Y aurai-je droit, moi aussi ? Arriverai-je seulement à rester avec un homme ? Est-ce que ça pourrait être celui qui me contemple en cet instant tandis que je feins de ne pas y prêter attention ?

Stop !

Après le dessert, un carrot cake fait maison accompagné d'une tasse de thé, grand-mère nous abandonne en claironnant un « bonne nuit ! »

— Et si ma Ciara vous repousse, ajoute-t-elle, sachez que j'ai de la place dans mon lit !

Seanmhair ! m'égosillé-je.

Elle disparaît dans le couloir à grandes enjambées. Me voilà affreusement gênée tandis que Niall se marre.

— Mais je t'en prie, rejoins-la si ça te fait plaisir.

A Dhia ! Tu me prends pour qui ?

Il m'envoie un léger coup de poing dans l'épaule. Je nous sers une nouvelle rasade de whisky. Il va bien me falloir ça pour survivre à cette nuit sans faire de bêtises.

C'est ça, t'as raison, c'est bien connu que le Scotch te fait garder la tête froide.

Nous discutons un peu, retardant le moment d'aller nous coucher. Il me raconte des anecdotes sur ma belle-sœur du temps de l'université, celles qu'il pense raconter à l'enterrement de vie de célibataires. Ils n'ont pas l'air de s'être ennuyés avec toutes leurs sorties étudiantes et leurs passages dans des événements mode, que ce soit pour le blog de Skye ou le book de Niall. Je lui parle de mon engouement pour l'automobile, que j'ai depuis toute petite grâce à mon grand-père. Il tenait un garage dans le coin et m'apprenait les rudiments de la mécanique lorsque je passais mes vacances ici. Une pointe de nostalgie s'empare de moi.

— Tu sais, maintenant qu'elle est partie, je peux tout à fait rester sur le canapé, affirme mon invité.

— Tu ne vas pas dormir de la nuit sur ce truc... Ça me dérange pas.

C'est vrai. Même si t'avoir dans mon lit et ne rien faire avec toi va être une rude épreuve.

Notre dernière gorgée avalée, je me lève et prends la direction de ma chambre, Niall sur mes talons.

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*Stovie : ragoût à base de viande, oignons et pommes de terre bouillies avec des légumes

ღ ℬ𝓸𝓷𝓷𝓲𝒆 ℋ𝓲𝓰𝓱𝓵𝓪𝓷𝓭𝓼 ღOù les histoires vivent. Découvrez maintenant