Family [ F1]

Chapitre 2

Esteban Ocon

17 avril 2021

La douleur irradie chacun de mes mouvements, mais je dois agir comme si tout allait bien, comme si je n'avais rien. Ce n'est pas aussi simple que ça le paraît après le calvaire que j'ai vécu hier soir. Les côtes, les bras, les jambes, le ventre : il s'est particulièrement acharné sans aucune raison. Juste parce qu'il en avait envie, comme il me l'a indiqué après coups. Fernando me tend une tasse de café mais je secoue la tête et me sers un verre d'eau bien fraîche. Je ne crois pas être capable d'avaler quoique ce soit d'autre, de toute façon. Mon ventre gargouille et les quelques techniciens qui sont dans la pièce se tournent vers moi. Je force un sourire et avale mon verre en silence. Pas de repas hier soir. Pas de petit-déjeuner ce matin. Pas de sommeil, non plus. Je ne suis pas opérationnel et je le sais très bien, mais je ne tiens pas à être mis de côté alors je vais fermer ma gueule et piloter tout de même. L'un des cuisinier m'indique qu'il va me préparer un truc à manger et avant que j'ai eu le temps de dire non, il a déjà filé. Davide arrive et tape mon épaule en guise de salutation. Je serre les dents pour ne pas lâcher un cri de douleur alors que sa tape se répercute dans mes côtes. Il fait de même avec mon coéquipier et nous demande comment on a mangé et dormi depuis hier. Fernando commence et accapare la parole pendant un long moment. Avant qu'il ait terminé de parler de son cycle de sommeil, du temps que ça a duré, du moment où il était le plus endormi et de tout autres paramètres dont tout le monde se fout probablement, Flavio est revenu avec un petit déjeuner complet : jus de fruit, protéines, vitamines et tout ce qu'il me faut pour tenir la matinée.

Davide – C'est pour qui, tout ça ?

Flavio – Le môme a le ventre qui gargouille. Il a pas assez mangé ce matin.

Esteban – C'est OK, Dave. Je me suis juste levé en retard et j'ai pas eu le temps de manger, du coups.

Davide – Je préfère que tu arrives en retard et en forme qu'à l'heure mais sans manger, Esteban. C'est pas la première fois que je te le dis. D'ailleurs, c'est pas la première fois que tu loupes le petit déjeuner avant de venir. S'il faut que je vienne te réveiller tous les matins, je le ferais.

Esteban – Ça sera pas nécessaire.

Fernando – Surtout que j'ai cru entendre du bruit dans ta chambre quand je me suis levé.

Esteban – Hum... C'est plutôt impossible puisque je me suis levé en retard. Peut-être... Peut-être les voisins.

Il fronce les sourcils, ne me croyant pas une seconde. Je lui souris et il hausse les épaules, signe qu'il abandonne pour le moment. Je vais avoir le droit à un moment de répit finalement. Je m'assois et commence à manger, savourant chaque bouchée. Davide nous parle du programme de la journée et je sais que je viens de tout décaler avec mon petit déjeuner improvisé. Il envoie Fernando à son occupation et s'assoit en face de moi.

Davide – Si tu avais des problèmes, tu m'en parlerais, hein ?

Esteban – Bien sûr que oui.

Davide – Sûr ?

Esteban – Oui.

Davide – Si tu ne m'en parle pas à moi... Parles en à Alexyan ou à Marquez.

Esteban – Pour que ça fuite devant le petit frère qui en parlera à son mec qui en parlera à Lewis qui en parlera au paddock tout entier ? Non merci. Sans façon.

Davide – Alex Marquez est avec un pote de Hamilton ?

Esteban – Pote je sais pas. Mais je sais qu'ils sont en contact.

Davide – Si tu as des problèmes, essaye...

La porte s'ouvre et je me crispe en voyant Verstappen. Davide se lève, sans doute prêt à sortir le pilote Red Bull.

Max – J'viens en paix. Je voulais juste prévenir Esteban que son petit frère est à Portimao et a refusé de venir avec Chloé nous rejoindre.

Esteban – Pardon ? Comment ça Monsieur est au Portugal ?

Max – Probablement pour son bel espagnol.

Esteban – Oh... Ouais... La course de reprise de Monsieur. Merci, Max.

Max – Avec plaisir. Ça va ?

J'arque un sourcil en relevant la tête de mon verre de jus de fruit. Qu'est-ce qu'il lui prend à celui-là, tout à coups ?

Max Verstappen

Le français me fixe sans comprendre pourquoi, soudainement, je m'inquiète pour lui. Et j'avoue que je ne suis pas trop sûr de pourquoi je le fais non plus. Je sais juste qu'il force ses sourires depuis quelques temps et ça commence à devenir inquiétant de le voir se donner autant de mal pour paraître parfait et souriant.

Max – Je demande juste. T'as pas l'air bien.

Esteban – Juste un réveil un peu tardif qui justifie mon petit déjeuner ici. Tout va bien, Max.

Max – Y a beau y avoir des différends, on reste une sorte d'énorme famille. Donc si tu as besoin, tu hésites surtout pas. Ou si t'as un problème.

Esteban – Pierre, Checo et toi ne serez probablement pas les premières personnes que j'irais voir, mais merci.

Je souris et sors, refermant derrière moi. Je retourne côté Red Bull et embrasse ma copine qui est sur son portable, probablement en train de parler à Alexyan. J'observe ma copine une minute en souriant comme un débile. Chloé Ricciardo. La plus belle des femmes de la planète. Je perds cependant mon sourire en me souvenant des cernes d'Esteban, de son air perdu, de sa fatigue apparente.

Max – Tu vas me dire que je suis parano mais... Ton meilleur ami t'aurait pas parlé d'un soucis avec Esteban ? Un truc qu'il trouve bizarre ?

Chloé – Pas à ma connaissance. Esteban et Alexyan parlent pas tant que ça. Esteban est un peu le solitaire dans leur famille. Alexyan parle plus souvent avec Ilan, le jumeau d'Esteban, qu'avec le pilote. Si Alexyan avait un problème, il irait plus facilement vers l'ouvrier que vers le pilote, je pense. Pourquoi ?

Max – Je sais pas... Esteban me paraît étrange en ce moment.

Chloé – D'accord, Super Max. Si tu le dis.

Max – Je suis pas fou, Chloé.

Chloé – Non mais je n'en doute pas. Juste...

Max – Je vais mener l'enquête, comme tu m'as appris. Je découvrirais ce qui ne va pas chez Esteban.

Elle secoue la tête et rit légèrement. Je pense que cette situation lui paraît complètement improbable. Et elle l'est pour moi aussi, mais Esteban ne va pas bien. Je ne peux pas le laisser s'enfoncer s'il a besoin d'aide.