-J'en ai assez entendu pour aujourd'hui, a remarqué ma mère. Si elle veut absolument nous parler, elle rappellera.

J'étais d'accord avec elle, d'autant que la voix de Sopha laissait deviner un état nerveux déladré. Apès la journée que j'avais passée, mes réserves de patience étaient épuisées. J'ai laissé ma mère étaler ses cours sur la table du salon et je me suis retirée dans ma chambre. J'étais tranquillement en train de lire quand mon portable s'est mis à vibrer. J'adore recevoir des textos avant de m'endormir. "Tout va bien ?" demandait Niall. "Tout va bien", ai-je répondu en guise de bonsoir. J'ai pensé au lendemain. Je n'étais plus inquiète ni excitée. Il n'y avait plus à s'en faire, nous avions gagné la partie.

Au matin, j'ai appliqué la technique maquilleuse expérimentée la veille. Une bonne couche de tout, et un solide coup de coton là-dessus. J'avais l'impression assez amusante de me glisser dans un déguisement. J'ai constaté, à la table du petit déjeuner, que le déguisement était entré dans les moeurs. Ma mère n'a pas fait de réfléxion. Elle m'a juste lancé, avant de partir : 

-Il faudrait passer un coup de fil à Sopha. Le mieux serait que tu la rappelles.

-Je le ferai ce soir !

Je n'avais plus le temps de m'empêtrer dans les considérations familiales. Je n'étais pas spécialement en avance. Maquillée oui, en retard non.

Niall m'attendait, à son poste, souriant et peigné de frais.

-J'ai pensé à un truc, lui ai-je dit. Je vais me faire percer les oreilles.

-Bonne idée ! Moi aussi. Ca fait longtemps que j'en ai envie. On ira ensemble.

-Tu crois que c'est le moment ? Je pensais aux boucles d'oreilles parce que toutes les filles en ont. Mais toi...

-Justement. C'est le moment idéal. Personne ne pourra m'en vouloir de porter des boucles puisque je sors avec toi. Je serai juste le petit copain de Jade, celui qui a des anneaux aux oreilles.

-Bon, d'accord, mais seulement une oreille.

-Si tu veux. Une oreille pour commencer.

Quand nous sommes arrivés en vue de la poubelle, c'est très naturellement que je lui ai pris la main. Plus besoin de balancier, nous étions largement repérés. D'ailleurs, quand nous sommes passés devant elles, Perrie, Jessica et Leigh-Anne nous ont aimablement salués. Nous les avons gratifiées de sourires quasi royaux.

-Tu vas vraiment devenir copine avec elles ? a grimacé Niall quelques mètres plus loin.

-Elles ne te plaisent pas ? Tu ne veux pas qu'elles soient les amies du couple ?

-S'il faut vraiment avoir des amis, je propose que chacun s'occupe des siens. On garde des comptes séparés.

-Facile. Avant qu'une bande de garçons te téléphone en gloussant pour te demander si tu sors avec moi, je serai copine avec tout l'établissement....

-Ce n'est quand même pas de ma faute si les garçons sont inhibés....

Les garçons, justement, avaient une façon assez bizarre de se comportement. Au lieu de nous regarder fixement, ou de se chuchoter frénétiquement à l'oreille, ils regardaient par terre, ils remontaient le col de leurs vestes, ils se parlaient d'une voix trop forte pour ne rien dire. Ils avaient une manière très voyante de faire ceux qui n'avaient rien vu. On aurait dit une bande de poulets en pleine parade.

-Tu as remarqué un changement ? ai-je demandé à Niall à l'heure de la cantine.

-Oui. Ils ne font plus semblant de me bousculer par hasard. On dirait qu'ils m'évitent.

-Et c'est mieux ? 

-Beaucoup mieux. Tant qu'ils ne m'invitent pas à faire du foot, de la musique ou un jeu de baston.

Pour conforter sa nouvelle position, Niall s'est adstenu de tout commentaire en cours de français. Pourtant, il y avait dissection de Chateaubriand, un morceau plein de mots et bourré d'imparfaits du subjonctif. Les questions du prof s'écrasaient dans un silence de mort. Et, en dépit de ses coups d'oeil désespérés, Niall restait obstinément muet. Je savais ce qu'il lui en coûtait. Mais il s'est tenu héroïquement à carreau.

-Qu'est-ce qui se passe, monsieur Horan ? s'est inquiété le prof à la sortie du cours. Vous avez des soucis ? 

-Merci monsieur. Je craignais que vous n'eussiez rien remarqué. Ne vous inquiétez pas. Ce sont des soucis temporaires.

Le temporaire était parti pour durer. Mais ça, pauvre chéri, il ne le savait pas encore...

[ En Pause ] La Belle JadeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant