Quand le réveil a sonné, j'ai eu un sursaut de révolte. Sept heures moins le quart. Qu'est-ce qui lui prenait ? Et puis je me suis revue, quelques heures plus tôt, en train d'avancer l'alarme, essayant d'évaluer le temps nécessaire à mes nouvelles attributions. Dans l'idéal, je ne comptais pas consacrer plus de cinq minutes à ma décoration matinale. Mais dans la réalité, il faudrait prévoir un temps d'apprentissage. Je n'étais pas sûre de mon coup de pinceau.

Devant son café, ma mère avait une petite figure chiffonnée. Les excès de rigolade en soirée, sans doute.

-Bien dormi ? ai-je demandé.

Elle m'a lancé un regard impénétrable par-dessus sa tasse. Je me suis demandé si elle avait gardé le souvenir de son sermon de la veille. Compte tenu de l'ineptie générale du propos, elle avait intérêt à jouer l'amnésie. J'avais pourtant, moi, appris une chose : Il suffisait de pas grand-chose pour qu'une brute épaisse, une cascadeuse invincible, se transforme en femme fatale, au moins aux yeux de sa mère. Je sais que la mère n'est pas la mesure scientifique de toute chose. Je sais que son radar est le plu souvent atrocement faussé et qu'elle comprend tout de travers. Néanmoins, elle reste une personne humaine, et à ce titre elle peut avoir des intuitions. Même un radar foireux peut rendre des services.

-Ca ne t'ennuie pas si je prends la salle de bains la première ?

 Ca ne l'ennuyait pas. Il est vrai que je suis championne internationale de douche rapide. Ma technique de savonnage ne peut rivaliser qu'avec ma technique de séchage, et je ne parle pas de l'habillage. Quand on porte le même pantalon toute l'année, et qu'on l'assortit au même tee-shirt, on peut atteindre des records de vitesse. Dans l'univers des salles de bains, on m'appelle "l'Eclair".

J'ai donc eu tout le temps nécessaire pour découvrir que le maquillage était une opération délicate, risquée et exaspérante. Une couverture marronnasse sur l'ensemble, deux lunes roses en haut des joues, un halo maladif autour des yeux.... C'était épouvantable.... J'ai tout essuyé avec un peu de papier hygiénique.... Et miracle, c'était mieux ! Première leçon : enlevez tout, ce qui reste suffit.

Je m'observais dans la glace quand l'absence des boucles d'oreilles m'a sauté aux yeux. Les boucles d'oreilles étaient utiles, nécessaires, indispensables. Les boucles d'oreilles étaient féminines. Pour la cause, il fallait que je me fasse trouer les lobes. Et fissa.

Enfin, il a fallu sortir de la salle de bains. J'étais dans un état de timidité, et même de honte, aggravé. Comme si je sortais toute nue. C'est marrant qu'une couverture de plus fasse le même effet que pas de couverture du tout. Peinte ou à poil, dans le fond, c'est pareil. Une question d'habitude.

-Tu en as mis du temps, a remarqué ma mère quand je suis revenue dans la cuisine.

Puis elle m'a regardée. J'ai fait mine de rien. Je préparais mon thé en attendant le verdict.

-Ca te va bien, a reconnue ma mère.

Elle n'en a pas dit plus, mais il suffisait de quatre monosyllabes pour annuler le sermon maudit, et remettre à zéro les compteurs familiaux.

Si j'étais légèrement angoissée en sortant de la salle de bains, j'ai quitté l'appartement dans un état de panique complet. Mes pensées faisaient du trampoline dans ma tête. J'avais les nerfs à vif et une très forte envie de courir pour les calmer. Quelques chose comme une bonne course de haies dans la boue. Malheureusement, l'expoit sportif boueux n'était pas à l'ordre du jour.

-Hello ! a fait Niall quand je me suis arrêtée devant lui.

Il m'attendait, comme tous les matins. Et dire que cette inoffensive petite habitude allait se transformer en rendez-vous plein de signification... Je l'ai prévenu.

-Je suis un peu stressée.

-Pas de quoi. On n'est pas obligé de se peloter toute la journée.

-Je te parle du maquillage.

-Quel maquillage ?

Il s'est tourné vers moi et m'a examiné le derme.

-Ah oui..., quand on regarde bien. Pas de quoi s'affoler, je te jure.

C'était un exemple parfait de gentillesse nialléquienne, et je le savais. Je me sentais néanmoins tout à fait rassurée. Jusqu'à ce qu'il murmure : 

-Ne bouge pas.... Je te prends la main à la grande poubelle verte.

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Désolé pour le retard, j'ai beaucoup de choses à faire en ce moment. Je mets 2 autres chapitres ce soir, pour rattraper mon retard.

[ En Pause ] La Belle JadeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant