31.La Réplique

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Si j'avais à peu près disparu aux yeux de ma mère, j'avais nettement gagné en visibilité dans le regard de Sopha. Elle n'oubliait pas un instant qu'elle était l'artisan de ma révélation. Mais elle ne pouvait s'empêcher d'être surprise par l'éclat de sa réussite. Dans le fond, si elle avait toujours eu confiance dans ses talents de coach, elle n'avait jamais vraiment cru à mon potentiel. Et voilà que la créature dépassait son maître. D'une certaine manière, elle était le docteur Frankenstein et j'étais son monstre. Elle était obligée de me respecter.

-Jade ! hurlait sa voix dans le répondeur. Appelle-moi ! J'ai des informations extrêmement importantes pour toi ! 

J'aurais préféré qu'elle ressemble un peu plus à ma mère. Qu'elle passe ses journées dans l'adoration silencieuse de son vilain type à catogan. Mais non. Pour moi, elle était toujours disponible. Et comme j'évitais soigneusement de la rappeler dans l'espoir vain d'échapper à ses informations, elle débarquait à l'appartement pour me reprocher mon ingratitude. Sa dernière contribution à ma vie consistait en un classeur rempli de pochettes transparentes dans lesquelles elle glissait les photocopies des articles sur la campagne. Sur la couverture, elle avait écrit, au feutre doré : "L'amour est un don".

-Je fais ça pour toi, m'avait-elle prévenue en agitant son index sous mon nez. Tu seras bien contente de l'avoir plus tard.

J'allais lui dire gentiment qu'elle était bien aimable de conserver des souvenirs dont je ne voulais pas, quand elle a précisé en me regardant au fond des yeux :

-C'est le début de ton book.

Je n'ai rien dit. Elle était visiblement gagnée par un  délire de surpuissance et il était dangereux de la contrecarrer. On ne sait pas ce dont sont capables les gens en pleine phase maniaque. J'ai feuilleté son classeur. Le baratin de notre ami journaliste créateur de citations ouvrait le bal. Mais derrière, il y avait tout un tas d'articles minuscules, tirés des journaux gratuits, des magasines professionnels de la publicité, de la photo, de la médecine, et plus généralement de la santé. Rien de très important, mais beaucoup.

-Tu vois le triomphe ? me répétait Sopha pendant que je tournais mollement les feuillets transparents. On s'en est bien tirées, pour une première fois, non ?

-Sopha ! disait ma mère. Tu ne veux pas aller dans la cuisine avec Jade ? J'arrive pas à travailler quand vous criez dans mes oreilles.

Dans la cuisine, tandis que je finissais de prendre connaissance de son travail de groupie, elle m'observait en silence avec des yeux conquis. J'avais l'impression horrible qu'elle m'admirait. Comme si javais réussi (sans rien faire) quelque chose qu'elle avait loupé (en dépit de ses efforts). Parmi les sentiments pénibles que l'on peut éprouver dans l'existence, celui-là est spécialement désagréable. Je ne pouvais même plus me moquer d'elle. J'en étais réduite à faire semblant de m'intéresser à ma revue de presse. Au secours.

-J'en ai parlé à des amis, a-t-elle glissé quand j'ai refermé son classeur.

Elle me parlait sur le ton de la confidence, comme si j'avais son âge et que nous étions copines. Je me suis sentie d'un coup complètement déprimée.

-Trop aimable, ai-je répondu. tu leur as parlé de quoi ?

-De toi, bien sûr. tu pourrais faire des castings. Tu ne vas pas t'arrêter là, quand même...

J'aurais dû hurler qu'il était temps pour elle qu'elle s'occupe de son propre cas et qu'elle me laisse faire ma vie. Mais elle avait quelque chose de suppliant dans la voix. J'étais débordée par un tel sentiment de mélancolie que j'ai plongé tête baissée dans la sincérité.

-Sopha, j'ai dit, je n'aime pas cette campagne, je n'aime pas être sur la photo, je n'aime pas les articles, je considère que c'est une catastrophe, et même...

Et là-dessus, je lui ai expliqué toute l'histoire du tsunami.

-Le maquillage, c'était le battement d'ailes du papillon, et la vague, la campagne de Brian...

Elle m'a écoutée patiemment. La déception, puis le reproche, ont envahi son visage. Et quand j'ai eu terminé, elle m'a dit :

-Tu crois qu'on peut décider de son destin ? Ce que tu es naïve, ma pauvre fille ! Tu as déjà entendu parler de la vague qui suit le tsunami ? Celle qu'on appelle la Réplique ?...

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⏰ Dernière mise à jour : Mar 04, 2016 ⏰

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