[ En Pause ] La Belle Jade

17.

Les révisions ne sont pas éternelles. J'ai fini par sortir de ma chambre pour rejoindre la cuisine. Ma mère et ma tante avaient substitué la bière au café et, si elles parlaient toujours de Brian, j'étais sortie du champs de leurs préoccupations. Pour le peu que j'en ai entendu, elles étaient lancées dans une analyse de sa vie sentimentale, entièrement construite sur des racontars de Sopha. Comme quoi il n'y a pas que les collégiens pour être obsédés pas les amours de leurs congénères.

-Te voilà ! a fait ma mère en s'interrompant.

Cette hypocrite, on aurait dit qu'elle n'attendait que moi.

-D'après ce que me dit Sopha, c'est assez simple.

-Tu me rassures.

-Ecoute ta mère, s'il te plaît, a dit Sopha. Puisqu'elle, au moins, tu l'écoutes.

-Donc, Brian travaille pour une agence de publicité qui a reçu une commande d'un ministère. C'est pour une campagne auprès des jeunes. Il a besoin d'un portrait d'adolescents, et il nous demande notre autorisation pour se servir de la photo qu'il a prise ici. Il vous paiera, bien sûr.

Deux questions me sont venues à l'esprit : "Est-ce que tout le monde va nous voir ?" et "Payé oui, mais combien ?". Mais j'ai d'abord demandé :

-Qu'est-ce que tu en penses ?

-Qu'un peu d'argent de poche n'a jamais fait de mal à personne. Et que je suis assez fière que ma fille magnifique donne lieu à de magnifiques photos. Si tu es partante, je donne mon accord.

-Oui, mais... tout le monde va nous voir ?

-Tu en as déjà vu, toi, des campagnes de ministères ? Tu te souviens d'une seule image ?

J'ai été obligée de reconnaître que non. Un ministère, ce n'est pas comme une marque de vêtements. Côté publicité, les choses sont infiniment plus modestes. En gros, on ne voit rien.

-Excuse-moi de te poser la question, Sopha, c'est peut-être impoli... Mais... c'est payé combien ?

-Je ne connais pas les tarifs. Mais Biran m'a dit que tu pourrais t'offrir de belles vacances.

-De belles vacances au camping à la ferme ?

-Parce que tu crois que c'est gratuit, le camping ?

-Ne sois pas mesquine, Jade, a dit maman. Si Brian dit de belles vacances, ça veut dire de belles vacances. Tout ça sans rien faire, ça fait rêver...

Tout cela, justement, me semblait complètement irréel. Cette photo, je ne l'avais jamais vue. Une campagne d'information, je ne savais pas ce que c'était. Information, oui. Mais campagne ? Quand au ministère, à,part rimer avec mystère... Même les vacances étaient abstraites. Quelqu'un allait me donner des sous pour aller bronzer sur la plage ? On nageait dans la folie douce. Il était bientôt l'heure de dîner, j'en avais marre de cette discussion absurde, je voulais que tout le monde soit content et me fiche la paix. J'ai cédé.

-Si maman est d'accord, moi aussi, ai-je lâché. Après tout, cette photo, on ne la verra jamais.

-Cette belle photo, a corrigé Sopha. Il faut que tu en parles à ton ami.

-Demain, j'ai dit. Maintenant, j'ai faim.

Sopha est restée dîner avec nous. Pour le reste de la soirée, la conversation a porté sur les souvenirs d'enfance des deux soeurs. Elles sont gentilles mais elles radotent. Elles adorent ressasser les mêmes vieilles histoires. A force, je les connais par coeur. Je me suis couchée tôt.

-Si c'est payé, je suis content, a dit Niall le lendemain matin. Je t'avoue que je n'aurais jamais pensé partir en vacances grâce à ma beauté. C'est inespéré.

-Ne te monte pas la tête, c'était le soir, on ne verra pas grand-chose sur la photo.

-J'espère qu'on devinera quand même quelque chose de ta splendeur. Dommage qu'il n'ait pas attendu qu'on ait les oreilles percées...

-C'est dingue ce que tu peux être coquet.

-Il faut bien que quelqu'un se soucie de notre allure. Si je t'attends, on restera toujours deux mochetés anonymes.

Il m'énervait, à faire le malin. Je lui ai boxé le bras jusqu'à ce qu'il s'enfuit en courant. Il a fallu que je le poursuive en faisant de grands moulinets avec mon sac. Nous avions oublié que nous étions à proximité du collège. En pleine zone d'observation. Mais aucune importance. Tout le monde nous a regardés passer avec un sourire entendu. Tenter de s'assommer à coups de sac pouvait donc aussi être interprété comme une démonstration valable de l'amour...