Chapitre 15

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Ça fait une semaine que tu es en isolement. Les jours se ressemblent tous, tu ne souris même plus. Le docteur Yeager l'a vu et a vivement conseillé qu'on te libère. Il pense que ce n'est pas la bonne méthode pour que tu te concentres à aller mieux. Tu l'as surpris discuter avec Amélie derrière ta porte.

« Tant qu'elle n'a pas la volonté d'aller mieux, elle ne le sera pas. Ce n'est pas en la forçant et en la coupant de ses faibles sources de joie que ça va l'aider.

- Mais, elle est seule d'habitude. Je ne comprends pas.

- Vous croyez vraiment qu'elle est seule car c'est son choix ? »

Tu te rappelles l'avoir entendu hausser le ton de sa voix. Il paraissait agacé qu'Amélie ne l'écoute pas. Quant à Samuel, il t'exaspère, tu vois bien qu'il essaye de discuter avec toi, mais tu n'en as clairement pas envie. Tu ne veux plus sortir 1h, en plus il pleut depuis une semaine. Tu ne lis plus, tu restes dans ton lit en pleurant.

Tu n'as pas d'autres choix que d'être seule. Ton anxiété et ta timidité te rongent de l'intérieur dès que tu vois du monde. Te présenter à chaque rentrée de classe te demandait des efforts surhumains. Tu tremblais de tout ton corps, ta voix chancelait, et tu sentais les regards moqueurs de tous tes camarades de classe. Tes profs essayaient de t'aider, mais rien n'y faisait. Tu passais tes journées seules dans ton monde, où au moins tu étais à l'aise. La vie est clairement injuste. Elle t'a ordonnée d'être silencieuse et de ne pas pouvoir profiter. Tu as beau faire des efforts, tu es tétanisée par le monde extérieur.

Tes cauchemars ne cessent pas, tu ne dors plus tellement tu en as peur. Tes larmes ont remplacé tes rares sourires sincères. Les livres empilés sur la table sont tes seules échappatoires. Tu lis toute la journée sans m'arrêter. Tu les dévores, et tu t'y attaches comme si les personnages étaient vivants. Lorsque tu sors dehors, tu as un livre dans les mains. Samuel t'avait alors demandé pourquoi tu ne profitais pas de l'air extérieur. Tu n'avais même pas pris la peine de répondre, trop absorbée par ta lecture.

Tu as croisé Livai deux fois dans la semaine. Il te regarde enfin, l'air désolé. Puis tu t'es rendue compte de quelque chose qui ne t'a pas immédiatement sauté aux yeux. Il ne mangeait plus à la même heure. Il t'attendait ! Je passais toujours en fin de service en début de semaine et au début de service à la fin de la semaine. Il l'avait compris. Quand tu mangeais et que lui lisait dans la cantine, tu sentais de temps à autres son regard. Samuel l'a vite repéré et a prévenu Amélie. Maintenant, tu manges et tu sors à des horaires différents chaque jour.

Tu ne comptes plus le voir à cause d'Amélie, sauf par réelle inadvertance. D'ailleurs, tes sentiments envers elle changent drastiquement. Tu ressens presque de la haine, elle est en train de gâcher ta vie déjà si fragile. Tu lui en veux beaucoup. C'est pourquoi tu l'évites au maximum quand elle vient chercher tes vêtements ou ton linge pour le mettre au salle. Tu prends l'excuse de la douche, à n'importe quelle heure. Tu sais que c'est une fille très intelligente, elle l'a remarqué, tu en es sûre. Tant mieux, cela permettra peut-être de se remettre en question sur ses méthodes de travail.

Même voir Jonathan était devenu banal. Tu répondais à ses questions comme un robot : machinalement et sans enthousiasme. Tout te paraissait très injuste. Tu sentais que Jonathan cherchait à te pousser à bout pour te mettre en colère, mais tu n'en avais ni l'envie ni la force de le faire. Il se battait tant pour te libérer de l'isolement, il ne recevait que le mépris d'Amélie. Et toi tu étais naïve. Tu pensais que, vu que c'est ton psychiatre, il avait le pouvoir de te faire libérer. Apparemment, non.

« Bonjour Ella, comment vous sentez-vous ce matin ?

- Bien. (1er mensonge)

- Pas de cauchemars en ce moment ?

- Non. (2ème mensonge)

- Etes-vous en colère à propos de votre situation ? »

Question pas habituelle et directe. Tu ne réponds pas tout de suite, surprise. Il sait que tu mens, il cherche à savoir ce que tu ressens. Comment lui dire que tu te sens vide, détruite de l'intérieur ? C'est comme si tu brûlais à petit feu et qu'on te laissait faire. Jonathan te regarde fixement, il veut que tu répondes. Tu baisses les yeux, impuissante de soutenir son regard. Cela veut dire qu'il a visé juste. Son visage se radoucit et il te rassure :

« Prenez votre temps, je sais que ma question n'est pas facile.

- Oui je suis en colère, surtout envers Amélie. J'ai beau revoir tout ce que j'ai fait, je ne trouve pas de grandes bêtises qui pourraient m'emmener en isolement. Je n'ai pas fugué, je n'ai pas fait une tentative de suicide, je n'ai pas essayé de tuer un de mes congénères. Je pense ne pas mériter le traitement que je reçois pour un simple garçon. »

Tu le vois tiquer. Donc il n'était pas au courant ? Que lui a raconté Amélie ? Qu'est-ce qu'elle a fait ?

« Un garçon ? Il te regarde vraiment avec un air suspicieux. Tu ne peux plus mentir.

- Oui Jonathan.

- Qui est-il ?

- Un patient d'ici ?

Tu te mords la lèvre. Tu as fait une gaffe.

- Oui, c'est un patient de David.

- Je vois. Vous croyez vraiment qu'Amélie vous a emmené ici à cause de ce garçon ?

- C'est ce qu'elle m'a dit.

- Vous êtes proches ?

- J'ai mangé avec lui deux fois, et ah oui, on s'est disputé dans la bibliothèque pour prendre un livre. Vous appelez ça proche ?

- Ella, j'ai votre dossier. Par conséquent, j'ai toutes vos habitudes notées dedans. Pour vous, cela vous semble banal, mais pour quelqu'un comme Amélie, cela lui parait inquiétant.

- Je ne faisais que lui parler, rien de bien méchant.

- Je comprends.

- Et aujourd'hui je suis triste de ne pas au moins pouvoir lui dire simplement bonjour. Au moins, je rigolais avec lui, on s'apportait mutuellement quelque chose qui m'avait tant manqué.

- Quelque chose ?

- Oui, vous savez ce sentiment dans lequel vous vous sentez en sécurité et à l'aise. »

A ces mots, Jonathan parut choqué. Il t'avait regardé pendant de longs instants avant de copier des notes dans son carnet. Mais tu étais sincère. Cette fois-ci, c'est Jonathan qui a raccourci la séance. Tu crois que tu l'as perturbée. 

Livai X Reader [No time to think]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant