Chapitre 27 : Julien

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Main dans la main, on reprend le chemin pour la résidence. Après toute une après-midi passée à flâner sur les quais, Anna a insisté pour qu'on regarde le coucher de soleil derrière la place de la Bourse. Elle m'a assuré que l'été, quand l'eau est présente sur le miroir d'eau, il y a une magnifique réflexion, avec chaque jour un coucher de soleil différent. J'ai déjà vu passer des photos sur internet, mais, jusqu'à aujourd'hui, je n'y avais jamais prêté attention.

La main d'Anna dans la mienne s'est refroidie à mesure que le soleil a décliné derrière les façades des bâtiments. Il faut dire que le blouson en simili cuir qu'elle porte était parfait pour l'après-midi au soleil qu'on a passé, mais les températures baissent vite quand celui-ci disparaît. Je peux presque sentir son corps frissonner. Je viens poser ma main droite sur nos deux mains déjà jointe, et frotter le dessus de la sienne à présent emprisonner.

— Je pensais faire réchauffer un plat de cassoulet ce soir, tu restes manger ? me demande-t-elle alors qu'on entre dans l'immeuble.

— Si tu veux, mais laisse-moi prévenir mon grand-père que je ne mange pas avec lui, vu l'heure, il doit être en train d'attendre que j'arrive.

— Ok, je laisse la porte ouverte, tu n'auras qu'à rentrer directement.

Je la quitte sur le palier, non sans avoir déposé un baiser sur sa joue, et entre chez mon grand-père, qui a enfin arrêté de mettre le loquet quand je sors. Je suis aussitôt assailli par une odeur désagréable qu'il me faut un peu de temps pour interpréter. Je réussi à mettre un nom dessus seulement en apercevant un corps par terre, étalé sur le tapis devant le fauteuil élimé. Mon cœur s'arrête, ma respiration se coupe, et je me précipite vers mon grand-père qui baigne dans son urine.

— Grand-père ? Grand-père, répond ! Papy ! hurlé-je.

J'approche mon oreille et ma joue de son nez et sa bouche. Une fois que j'ai détecté sa respiration lente et sifflante, mais bien présente, je le place en PLS, comme je l'ai appris. Puis je fouille précipitamment dans les poches de mon pantalon à la recherche de mon téléphone sur lequel je contacte les secours.

Mes mains tremblent, je n'arrive à rien. Deux mains se placent sur mes épaules et me tirent vers l'arrière, puis on m'arrache le téléphone des mains. Une conversation s'engage dans la même pièce que moi, mais mon regard troublé ne peut se détacher de mon grand-père. Il a les yeux fermés, les traits tirés, il semble souffrir et je ne sais pas quoi faire pour l'apaiser. Je m'approche de lui et lui serre la main, la sienne se resserre doucement sur la mienne, ou peut-être veuilles-je tellement y croire que j'hallucine sur le moindre signe qui me permettrait de savoir qu'il va bien.

Une main se pose sur mon épaule et je reconnais le parfum d'Anna, mais je suis trop bouleversé pour lui prêter attention. Papy, je viens de te retrouver, ne m'abandonne pas. La tête d'Anna se pose sur mon épaule, et on reste là, tous les deux près de lui, je l'entends renifler contre moi, peut-être même qu'elle s'essuie sur mon épaule, mais je m'en moque.

Où sont les secours quand on a besoin d'eux ?

Les secondes défilent, elles se transforment en minutes, et mon sang boue dans mes veines. Le temps passe aussi lentement que le jour de l'accident, et les souvenirs de ce jour remontent à la surface. J'ai failli perdre Adrien ce jour-là, et je me suis perdu en route. Le voir si souriant l'autre jour, comme si rien de tout ça n'avait eu lieu, alors que j'ai eu tant de mal à m'en remettre. Je ne veux pas perdre mon grand-père sans avoir appris à le connaître plus, deux mois et demi c'est trop court.

S'il vous plaît, ne m'enlevez pas mon grand-père !

Je n'ai jamais été croyant, mais dans ces moments-là, on est pratiquement tous prêt à prier tous les Dieux, à remettre nos existences entre les mains de ces entités auxquelles on se rattache, tout en étant conscient que rien ne peut interférer avec nos vies.

Sur le même palier [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant