Chapitre 6 : Julien

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Pierre nous tanne avec la fille de l'autre soir depuis presque deux semaines, moi j'ai à peine croisé son regard que celui-ci me hante. Il a suffi de quelques secondes, mais il est gravé dans ma rétine. Pierre a même tenté de la chercher sur internet, mais avec juste un prénom, ce fut sans grand succès, surtout au vu du nombre d'Anna qui existe et dont l'écriture du prénom diffère. La seule chose qu'il se rappelle c'est qu'elle travaille dans un café-librairie et qu'il en a écumé plusieurs, sans succès pour l'instant. J'aimerais lui dire que ça ne sert à rien de se mettre dans un état pareil pour une fille, mais je dois dire que celle-ci me hante aussi.

Je tourne et rallonge ma foulée. Même la course qui habituellement me vide la tête n'arrive pas à me la chasser de l'esprit. Pierre est persuadé que cette fille est intéressée parce qu'elle rougissait et bégayer à chaque fois qu'elle ouvrait la bouche. Moi, je suis persuadé qu'elle s'est juste montrée cordiale avec lui, et que c'est dans sa nature. Cette fille est timide, ça se voit juste à sa manière de s'effacer devant les autres, et de rougir quand on lui prête de l'attention.

Plus j'y réfléchis, et plus je me rends compte que ce n'est pas la première fille que je vois agir comme ça, au collège aussi, il y avait des filles dans son genre, tellement timide et effacé que je ne leur ai jamais vraiment prêté attention. Est-ce qu'elle subisse ce genre de chose avec tous ceux qu'elles rencontrent ? Je secoue la tête, cette fille a quand même des amies, c'est qu'elle ne doit pas être si transparente que ça. Et puis, elle est plutôt mignonne, impossible de passer à côté.

Avant de rentrer prendre une douche, je décide de m'arrêter au Starbucks, en face de l'arrêt de tram. Mon grand-père a encore une de ses vieilles machines à café où tu prépares carrément un pichet, et comment dire que le goût du café moulu n'a rien à voir avec celui en grain. En Californie, il y a tellement d'établissements de café à emporter que j'y ai pris goût, et qu'il me faut une dose de caféine quotidienne si je veux tenir. Je ne pars pas en cours chaque matin sans mon gobelet de café. Je sais que ça me revient cher, mais je me dis que c'est l'argent d'un loyer que je n'ai pas à payer que je peux mettre dedans.

Je relève mes lunettes de soleil, et entre dans l'établissement. L'odeur si familière du café me prend au nez alors que je prends une grande inspiration. Je m'avance vers la file d'attente, regardant ce qu'il y a en vitrine comme viennoiserie, quand je heurte sans le vouloir la cliente devant moi, et que deux yeux verts dont un avec une tâche marron me fixent grands ouverts. Ils sont toujours cachés derrière sa frange mais ça ne m'empêche pas de ne pas pouvoir m'en détourner, alors que d'habitude c'est ce que font les autres. Même son chemisier échancré et sa jupe patineuse ne m'en détourne pas.

Bordel mais elle me suit ou quoi ?

— Salut !

— 'lut ! Anna, c'est ça ?

Bien sûr que je me souviens de son prénom, je me souviens de toute cette soirée, et même de son parfum, et je ne sais même pas pourquoi. En réponse, elle hoche la tête et ses joues prennent une teinte cramoisie, de la même couleur que son rouge à lèvre qui lui fait une bouche à se damner.

Son regard glisse sur mon débardeur, trempé de transpiration et qui colle à mon torse, puis sur mon short de sport. Je me racle la gorge pour la ramener à moi.

— Tu, euh... tu habites dans le coin ?

Et voilà que c'est moi qui perds mes mots face à elle, j'ai l'impression d'avoir de nouveau douze ans et que j'essaie de draguer la fille la plus jolie de la classe.

— Oui, dans une résidence un peu plus loin.

— Cool.

Ses yeux s'écarquillent sans que j'en sache pourquoi, mais je suis sûr qu'elle ne va pas tarder à me le dire. Ses doigts glissent sur sa jupe qu'elle froisse, ne sachant visiblement pas si elle doit me faire confiance.

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