Chapitre 15 : Anna

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          Je regrette d'avoir donné mon numéro à Pierre. Depuis la foire, il y a deux semaines, il n'arrête pas de m'envoyer des messages la plupart du temps pour me proposer de sortir. Mais avec mon travail et lui son apprentissage, on n'était jamais libre en même temps, ce qui je dois le dire m'arrange, même le week-end dernier j'avais l'excuse du ménage chez mon voisin — où j'ai traîné en espérant voir Julien débarquer mais il était apparemment chez un camarade — et de ma visite dominicale chez mes parents. Cependant, je n'ai pas d'alibi pour ce week-end, je ne sais pas quoi lui dire. Et je ne peux pas demander conseil à ma meilleure amie, elle est retournée dans les bras de Mathilde, et elle m'a dit trouver Pierre très sympa, exactement le type de « gentil garçon » qui me convient d'après elle, et d'après sa copine aussi.

Mes livres eux-mêmes ne me donnent pas la solution, et ce n'est pas faute d'y avoir regardé pourtant. Je m'affale derrière le comptoir sous le regard intrigué de Gladys. Et puis, ça sort tout seul de ma bouche, comme un besoin d'extérioriser.

— Je ne sais pas quoi faire, Pierre, le mec dont je t'ai parlé...

— Le brun aux yeux noirs ?

— Oui, lui. Il veut que je vienne à une soirée chez son pote Anton. Sauf que je ne sais pas comment lui dire que je ne suis pas intéressé.

— Tu pourrais y aller, et puis lui dire que tu ne t'amuses pas. Ou tu le fais boire et tu lui demandes ce qu'il attend de toi.

— Je ne suis pas sûr de pouvoir y arriver, et puis je ne vais pas me mettre minable juste par égoïsme.

— Tu veux tes réponses ou pas ? demande-t-elle alors que je secoue la tête. Alors, crois en toi ! Au pire, qu'est-ce que tu risques ? Il sait peut-être où tu travailles, mais pas où tu habites. Et puis, je ne pense pas que ce soit le genre de mec à te harceler. D'après moi, tu devrais y aller, et suivant comment se passe la soirée, tu auras ton avis sur ce mec, et ne me sors pas qu'il est plus jeune parce qu'on a déjà eu cette conversation !

Ma collègue, qui commence à bien me connaître, m'agite même son doigt sous le nez pour m'empêcher de renchérir. Alors je souffle, dépité, et récupère la commande à servir. Il faut que je m'occupe, sinon je me connais je vais ressasser la situation. Pourtant, je ne peux m'empêcher de penser à mon voisin, le plus jeune des deux, celui dont les yeux m'envoutent dès qu'ils croisent les miens. J'ai l'impression de trahir Pierre juste à cette pensée alors qu'il ne se passe absolument rien entre lui et moi.

— Eh ! fais pas cette tête, me souffle ma collègue. Si vraiment t'as pas envie d'y aller, ni va pas, mais ne te mets pas dans un état pareil.

— C'est pas ça, j'ai bien envie de m'y rendre à cette fête, mais pour une autre raison.

— L'autre raison ne serait pas un grand brun aux yeux bleus ?

Je rougis, et me détourne d'elle pour la machine à café.

— Alors vas-y ! Fait comprendre à l'un que tu n'es pas intéressé devant l'autre, et arrange-toi pour que l'autre sache que néanmoins, il t'attire.

Mon grommellement est atténué par le broyeur à café, mais pas assez pour échapper à ma collègue qui se marre bruyamment, attirant le regard des clients sur nous.

— Les filles, nous glisse Marianne qui vient de passer la tête par l'entrebâillement de la porte, un peu moins fort, je vous entends jusque de l'autre côté ! La première qui les fait fuir range la réserve pendant un mois, c'est clair ?

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