L'instant d'après, les deux compagnons et le verbeux archer avaient passé le barrage et ils montaient en direction du troisième étage. Ménéryl, un peu surpris, présuma qu'une désobéissance qui pouvait passer inaperçu valait mieux qu'un empereur assurément furieux.
— C'est incroyable qu'il nous aient laissés passer avec ce que vous leur avez servi, s'étonna-t-il.
— Il faut voir ce qu'ils prennent pour un simple vol de pois chiche, s'était contenté de répondre Brankas en souriant de toutes ses dents.
Le palier des militaires était très différent des deux précédents. Ils étaient arrivés par la face nord qui débouchait sur une place totalement vide de tous bâtiments, un lieu dédié à l'entraînement des militaires. Sur le côté est, les baraquements étaient plus grands et espacés que les habitations entassées des étages inférieurs. Sur le versant ouest, était visible le bout d'un édifice arrondi qui devait être une arène. Ils purent aisément cheminer au milieu d'une foule très clairsemée. Les personnes qui la composaient étaient élégantes et avaient un comportement beaucoup plus apaisé que celui des des individus croisés jusqu'à présent. La plèbe, quant à elle, était agglutinée au second la tête levée. Leur nombre était impressionnant et surtout, ils avaient cessé de courir en tous sens. Plus loin, au milieu de la chaleur étouffante des plaines arides, ondulaient les silhouettes des esclaves qui, malgré l'imminence de ce jour d'exception, continuaient, imperturbables, leurs corvées ordinaires. Ménéryl ballada alors son regard sur les privilégiés qui l'entouraient. Le contraste était saisissant. C'était des autochtones au teint mat, mais beaucoup moins hâlé par le soleil. Leurs vêtements étaient faits de tissus légers, colorés et de grande valeur. Les femmes se couvraient davantage que leurs semblables des niveaux inférieurs et portaient de nombreux bijoux faits d'or de coraline et de lapis-lazuli. Par-ci par-là, se tenaient des hommes et des femmes au teint plus pâle et aux habits différents. Des personnes étrangères à l'île, mais les connaissances de Ménéryl étaient trop pauvres pour deviner leurs origines. Des habitants de l'Orbia probablement, ceux qu'il avait vu du Thésan avaient des styles plus élaborés.
Face à lui, se dressaient contre les murs d'impressionnantes sculptures représentant des lions et des boucs à têtes d'hommes. Leur pesantes circonférences étaient néanmoins ternies par les monumentales statues de taureaux androcéphales qui entouraient l'étage clérical. À cette distance, elles étaient vraiment impressionnantes, écrasantes par leur taille mais extrêmement travaillées dans les détails. Le jeune homme jeta un coup d'œil à Izba, mais il ne le regardait pas. Il tournait sur lui même le visage extasié. Comment aurait-il pu en être autrement ? À ce jour, il n'avait jamais rien vu de plus gros que le dolmen du port de Dias Perrec. Ici, le moindre ouvrage rayonnait de raffinement tout en paraissant plus grand et plus lourd.
Brankas quant à lui était anormalement immobile, seuls ses petites pupilles noires bougeaient dans tous les sens. Le visage épanoui, il semblait heureux d'être là.
D'un coup, les discussions se transformèrent en murmures et les citoyens levèrent les yeux en direction d'une vaste terrasse située entre les deux étage. Ménéryl les imita et vit s'avancer un homme qui portait sur ses épaule la peau d'un félin dont le crâne, retombant jusqu'à sa taille, servait d'attache pour la maintenir à un long pagne noir. Sur sa tête se dressait une haute coiffe sombre et de laquelle jaillissait un cobra doré. L'éminence de son statut ne faisait aucun doute tant sa simple présence avait su imprimé de respect la masse des observateurs.
L'homme n'était ni grand, ni petit, ni jeune, ni vieux, il avait un corps maigre et noueux. Son visage était sévère, marqué par de petites rides qu'un caractère implacable et absolu avait certainement, bien plus que le temps, contribué à creuser prématurément. Il avait de petits yeux allongés et globuleux, son nez, extrêmement recourbé, s'érigeait au milieu de son visage en un quart de rond à l'extrémité acérée. Il leva vers le ciel des bras décharnés aux articulations saillantes et lança d'une voix grave et nasillarde :
— Sargadéens !
À travers la ville pyramide, les bruits cessèrent instantanément, Sydruck s'était figée, l'attention de toute une citée était tournée vers cet homme à l'allure illustre comme pendu à ses lèvre. Le silence qui s'était abattu était absolu. Comme une ombre qui s'allonge, le personnage austère et filiforme leva davantage les bras. Les muscles contractés, les doigts crispés en directions des nues, il commença à clamer d'une voix puissante :
Louanges aux dieux, prière et dévotion à Masham et à ses descendants...
Sargadéens !
En ce soixante et unième jour de l'Évir de l'an mille neuf...
Soixante-six ans jour pour jour après que le notre père, le bienheureux empereur Sardan, ai débarrassé par le sang l'empire d'une lignée malprobe...
Le peuple de l'Éblouissant converge pour assister à la renaissance
du sien bienfaiteur...
Loyauté, esprit d'inégoïsme, adoration, telles furent les vertus du notre peuple qui ont conduit à ce jour historique : la mort d'un empereur, la naissance d'un dieu !
Perdre un être cher est toujours synonyme de maljoie, mais cela n'est pas le destin qui nous attend aujourd'hui, car le bienheureux Éblouissant va uniquement changer de forme et acquérir l'immortalité injustement non sienne...
Le sien éveil sera source de bouleversements...
Tout êtres terrestres ne possèderont une telle puissance...
Tout autres royaumes ne verront marcher à leurs têtes un souverain aussi lumineux et invulnérable...
Le notre empire... Le notre fabuleux empire, rayonnera sur le monde et le réduira à la sienne merci !
Présentement et pour l'éternité, l'origine des Sargadéens sera pour eux motif de grande fierté...
En ce jour, il est permis aux Sargadéens et aux invités de poser leurs yeux sur la très haute personne de l'Éblouissant.
En ce jour, il est permi aux Sargadéens et aux invités de ne pas se prosterner et de regarder, pour qu'ils puissent témoigner aux générations à venir de ce qu'ils ont vu.
Que disparaisse l'empereur pour qu'émerge le dieu, que l'Histoire s'écrive...
Sargadéens !
l'Éblouissant se présente face à vous !
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Mémoires du Monde d'Omne Tome II
FantasyÀ l'aube d'une nouvelle ère, la mécanique en marche sur le Monde d'Omne annonce les prémices du changement. Les armées du Thésan affluent vers Cubéria répondant à l'appel de Caribéris. L'invasion du Grandval se prépare, mais toute guerre bien menée...