Détention 4/8

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— Les voilà ! s'écria-t-il, enfin les voilà. Qui sont donc ces personnes hors normes ?

Toute l'attention fut instantanément portée sur eux et la salle se remplit d'une soudaine effervescence. Presque en même temps et sans bruit, la cohorte de femmes s'était levée et avait quitté les lieux avec grâce mais sans s'éterniser outre mesure. L'escorte et leur commandant se placèrent tout autour des deux prisonniers pour les maintenir sous bonne garde.

— Le notre empire n'est pas à des visites aussi fabuleuse, continua l'empereur alors que la pièce se vidait. Juste le jour de ma déification qui plus est, cela ne peux être un hasard. Les étrangers sont-ils envoyés par les dieux ?

Ménéryl était troublé. L'aura qui entourait le palais était phénoménale, mais elle n'avait pas augmenté en intensité à l'approche de Sardan. Sans réussir à concevoir s'il pouvait en être rassuré, il avait acquis la certitude qu'elle n'émanait pas de l'empereur. Ne sachant trop quoi répondre, il jeta un oeil à Izba qui le regardait dubitatif. Ils regrettèrent un instant l'absence de Brankas qui aurait sûrement trouvé quelque à dire et finirent par faire non de la tête. L'empereur eut un sourire amusé, puis il se tourna vers le militaire et l'homme illustre qui étaient restés.

— Vous avez vu ça ? Ils le contèstent.

— C'est exactement ce qu'aurait fait l'envoyer d'un dieu, déclara calmement l'homme illustre.

Sardan effectua une série de mouvements avec les Gueminis. Son aisance à les manier était flagrante, la supériorité de sa formation militaire sur ses gardes ne faisait aucun doute.

— L'homme qui vient de parler se nomme s'appelle Shumuk, reprit-il sans cesser son inquiétante activité. Il est l'archiprêtre de l'empire. L'homme qui se tient à ses côtés est le grand général des miennes armés, il se nomme Arnipal. Je devine à leur attitude que les étrangers ne les ont pas convaincus.

Il cessa soudain le dangereux balais des lames. Ses yeux se levèrent au plafond et après avoir poussé un profond soupir il interrogea tout haut :

— Légat Asarknoth, quel est vôtre avis ?

Il y eu un court silence, puis, la voix agonisante d'une très vieille femme sortit de derrière un rideau.

— Il me faudrait m'approcher.

Sardan tourna son regard vers les deux compagnons et avec son air continuellement enjoué s'exclama :

— Mais faites donc.

Une longue plainte fatiguée raisonna dans la salle, puis une énorme main ridée aux ongles crochus écarta l'imposant rideaux. Un être d'une taille gigantesque apparu vêtu d'une longue robe en lambeaux assombrie de crasse. Atrocement maigre, le dos voûté, une longue tignasse blanche jaunit de gras tombait en paquets poisseux qui masquaient son visage. Appuyée sur un bâton épais, elle traînait sa monstrueuse carcasse, encombrée par l'atroce balancement d'une poitrine pesante et affaissée. Le toc lugubre et interminable de sa canne retentissait à travers la pièce. Il fit naître un malaise qui semblait avoir atteint les bras droit de Sardan eux-mêmes. A l'issu d'une laborieuse progression, elle s'arrêta devant les deux compagnons. Cette femme était colossale, elle les dépassait d'au moins trois tête et ses bras étaient aussi gros qu'une cuisse. Une telle carrure rappela à Ménéryl ces peuples du nord dont lui avait parlé Kadar. Il la fixa, cherchant à identifier ses traits. Elle releva la tête. Ses mèches s'écartèrent autour d'un visage étrange et répugnant, celui d'un nouveau né rondouillard aux yeux bouffis. Izba eut un léger recule de dégoût.

Les paupières du légat s'écarquillèrent tout ronds. Entourées par des iris d'un bleu glacial, les pupilles se dilatèrent en deux abîmes noirs et analysèrent à toute vitesse le nohyxois.

— Oui, oui, c'est bien, reprit-elle d'une voix chevrotante, d'accord, pas de problème avec celui-là. Reste à savoir ce qu'il faisait accoutré d'armes aussi fabuleuses.

Puis elle tourna subitement sa face vers Ménéryl.

— Qu'est ce que c'est que ça ! marmonna-t-elle.

Elle fronça les sourcils. De nombreux plis se creusèrent sur son visage lisse et grassouillet.

— Non, c'est une erreur, ce n'est sûrement pas...

Son élocution était devenue rapide et saccadée, ses yeux s'agitaient nerveusement et s'arrêtèrent soudain sur le pendentif. Elle se recula et ses traits se crispèrent, sa lèvre inférieure remuait convulsivement et elle se mit à hurler comme un nourrisson qui pique une colère.

— Le Némathel Tida ! hurla-t-elle entre deux sanglots, le Némathel Tida, je vais le dire !

Tout le monde dans la salle la regardait ahuris, puis la voix du légat devin parfaitement grave et caverneuse :

— Mais pour qui te prends-tu ? lança-t-elle à l'adresse de Ménéryl, il est trop tard, même toi tu ne pourras pas t'y opposer, même avec ça... Il faut qu'il sache !

Elle se tourna brusquement vers Sardan et son timbre vira au suraiguë.

— Vous n'êtes plus important ! il y a plus urgent, il faut qu'il sache ! L'enfant et son ombre ne doivent pas atteindre le continent. Faites donc ça !

Avec une vigueur et une rapidité que son corps n'aurait pas dû lui permettre, elle jeta son bâton, fonça vers une fenêtre et se précipita dans le vide. Alors que tous étaient pétrifiés par la stupeur, Sardan s'avança calmement en direction de l'ouverture et regarda vers le bas.

— Qu'est-ce qu'il lui a prit ? dit-il l'air impressionné.

Puis se tournant vers l'assistance avec un émerveillement enfantin il ajouta :

— Elle tombe encore.

Il jeta à nouveau un œil par la fenêtre, resta un instant curieux du spectacle et haussa les épaules.

— Tant pis ! de tout de façon elle était bizarre. Un être asexué ! elle voulait devenir un être asexué, dit l'empereur en s'esclaffant.

Les gardes, l'archiprêtre et le général firent écho rièrent avec lui.

Mémoires du Monde d'Omne Tome IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant