Au milieu du champs de morts 3/3

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Le commodore les balaya rapidement du regard. Des Sargonnais, des Ugres, des Exiniens et même des lanciers Othrystins. Aucun n'avait été épargné par cette infection qui rongeait les esprits. Les yeux étaient froids et déterminés, aucune main ne tremblait. Vers Kao allait leur allégeance, sans hésitation, leurs bras s'abattraient sur l'ost.

— Exiniens, épées au fourreau ! hurla Bénard qui avait accouru glaive à la main.

Nuls n'obéirent, les Exiniens félons étaient aussi résolus que leurs frères d'armes, mais d'autres soldats s'étaient précipités derrière le commodore et avaient dégainer pour leur faire face. Il y eut d'abord beaucoup d'agitation, puis s'abattit l'attentisme. Les guerriers se fixaient sans sourciller, tout était figé. Il ne restait plus que les cris entêtés d'un corbeau nerveux qui, à plein poumons, s'échinait à troubler le calme annonçant la tempête. La situation dégénérait.

Les comtes des autres royaumes s'étaient également rapprochés. Parmi eux, Gudrun, Noriker et Madalbon, armes à la main, représentaient avec le commodore un danger des plus sérieux. Fort de cet avertissement, Lonny se tourna vers ses fidèles. Il leva les bras et s'exclama avec un simulacre de noble détachement :

— Allons, allons, mes frères Kaolites. Tout cela va trop loin, rangez donc vos épées. Même s'il n'a pas notre niveau de conscience, n'oubliez pas que le sire d'Armadoc est la plus haute autorité derrière notre roi. Nous ferons comme bon lui semble, inutile de nous entretuer. Peut-être un jour comprendra-t-il son erreur.

Avec méfiance, les guerriers aux cercles obéirent et leurs lames regagnèrent leurs fourreaux. Dans le camp d'en face, les hommes se détendirent.

Darkolès fixait le meneur Kaolite. Au-dessus de ses larges épaules, à la base du V formé par ses bras toujours levés, les mouvements satisfaits de son crâne agitaient sa tignasse rousse. Dans une posture de jubilation insolente, Lonny contemplait l'ardente docilité de ses fidèles. Ce genre de problème devait être réglé au plus vite. Bilichilde en main, le seigneur d'Armadoc se faisait fort de découper ce semeur de zizanie à la vue de son équipe de traîtres. Mais l'Exinien se tourna vers lui, ce qui, étant donné la complexité de la situation, lui accorda quelques sursis. Sans craintes, l'homme s'approcha du commodore et dû lever la tête pour plonger ses yeux dans les siens. Ses iris étaient bleues cerclées d'orange, il s'y lisait l'aplomb et l'assurance de complications futures.

— Sire commodore, commença Lonny, je vous demande de bien vouloir accepter mes excuses au nom de tous mes frères Kaolites pour ce qui vient de se passer. Permettez nous néanmoins d'avoir des chariots dédiés pour mettre nos morts et de les envoyer à fort Slasija avec pour consigne de les incinérer promptement à leur arrivée.

Darkolès le dévisagea froidement. La face rougeaude du meneur kaolite, s'était davantage empourprée. Son corps trahissait l'excitation engendrée par le contentement de son orgueil et, bien que convaincante, l'humilité dont il avait usé n'en était réduite qu'à un simple jeu d'acteur.

— Je vous accorde les chariots, dit-il avec une colère contenue, et j'accepte vos excuses au nom de votre groupe dissident. Mais vous, en tant que meneur, vous serez jugé sur le champ.

La tension remonta d'un cran côté Kaolites, des mains se posèrent sur les gardes des épées et les lames qui avaient commencé à se baisser se redressèrent. À l'affût, les soldats des deux partis attendaient que parlent leurs leaders. Des rangs de l'ost, s'éleva alors une voix chevrotante et pourtant emplie d'une vénérable intensité.

— Par le très éclairé Mudry Volga, le bon sens nous incite à faire preuve de sagesse en pareilles circonstances.

Le fluet comte de Mont et Mer s'avança entre les deux protagonistes. Son grand âge, son allure inoffensive et son pas serein eurent immédiatement un effet apaisant.

— Voyons soldat, dit-il en s'adressant à Lonny, vos manières ne conviennent ni au lieu, ni à la personne à laquelle vous vous adressez. Quelle image pensez-vous donner des gens de notre royaume ?

Sans même attendre de réponse, Louis se tourna vers Darkolès.

— Sire Commodore, je comprends bien votre point de vue, il est juste. Néanmoins, nous venons d'échapper à un combat fratricide au milieu de terres ennemies. La seule chose importante est la mission que vous a confiée le roi Caribéris et pour cela chaque homme nous sera utile. Je vous sais fin stratège, je suis convaincu que pour vous mes mots sont une évidence.

Le vieil homme s'arrêta un instant. Dans ses yeux, se reflétait l'expérience du vécues et l'inquiétude de se trouver impuissant à l'empêcher de se reproduire. Il se força pourtant à sourire et, avec un amusement résigné ajouta :

— Cela ne fait même aucun doute. Pourtant, il n'est pas rare que la passion du moment puisse faire taire notre raison. Il est parfois utile qu'un vieil homme la fasse ressurgir. Faites preuve de clémence, la situation l'exige. Les cinq seuls savent ce qui adviendra d'ici la fin de cette guerre. À ce moment-là, si les actes de ce soldat n'ont pas effacé le préjudice, il sera toujours temps de demander des comptes.

Darkolès inclina respectueusement la tête. Il admirait l'intelligence sereine dont avait fait preuve le comte de Mont et Mer. Le vieillard venait probablement d'éviter que cette expédition vire à la catastrophe.

— Vos paroles sont justes, sire de Mazac, les circonstances nous ordonnent la clémence, admit le commodore.

Il rangea son épée au fourreau et s'adressa à Lonny :

— N'allez pas penser que votre démonstration de force vous octroie quelques privilèges et apprenez que la patience n'est pas l'une de mes vertus. En ce jour, seul l'intérêt supérieur de notre roi me l'a imposée. Un nouvel écart de votre part et je me chargerai personnellement de remédier au problème.

— Cela va sans dire, répondit Lonny d'un air détaché. N'ayez pas d'inquiétudes, sire commodore, notre avenir a déjà été écrit par Kao et en toute chose il inocule un peu de sa perfection.

Sans attendre de réponse, L'Exinien le salua de la tête et se retira. Ses quatre lascars l'imitèrent.

— Je les ferais tous égorger à mon retour en Othryst, promit sèchement Orhid.

Noriker lâcha un grognement.

— Ils sont d'une grande audâce pour des gueux qui devaient se câcher il n'y a pâs si longtemps !

Mâchoire serrée, Darkolès regardait s'éloigner les Kaolites. La remarque fit naître sur son visage un sourire belliqueux.

— Que voulez-vous, répondit-il, les convictions changent vite lorsque l'on passe de l'autre côté du glaive.

Disant cela, il jeta un œil sur Bernard. Le prince déchu avait été le premier à faire face à ses côtés. Cette spontanéité lui avait plut. Malgré sa naissance confortable, le fils du roi Hugues était un homme de principe et de caractère. C'était fâcheux. Le commodore se devait maintenant de lui offrir une mort plus glorieuse que celle qu'il avait envisagée pour honorer les ordres de la reine Hannia.

Il soupira et balaya de ses pensées cette nécessité que seul l'avenir imposerait. S'astreignant aux impératifs présents, il se retourna pour s'assurer d'un détail. Sur les hauteurs, la silhouette qui les observait faisait demi-tour. Il la regarda avancer jusqu'à ce qu'elle disparaisse derrière la colline. Ce Sauromas n'était pas venu en vain. Il avait pu estimer leurs forces et il connaissait maintenant leurs faiblesses.

Mémoires du Monde d'Omne Tome IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant