— La paix soit sur les trois Asargadéens, reprit l'aubergiste, que peut-elle pour eux ?
Après avoir abaissé leurs godets ils poussèrent tous un soupir de soulagement. Chunsène s'essuya à nouveau le visage et dit :
— Bonjour Sargadéenne, nous souhaiterions avoir trois couchettes.
La jeune femme était restée silencieuse et immobile le temps que vienne la réponse. Venant comme un enchaînement longuement répété, elle demanda :
— Bien ! voudront-ils aussi manger ?
— Seulement ce soir, répondit la soigneuse pensive, nous avons à faire. Auriez-vous la possibilité de nous faire apporter des vêtements plus adéquats ?
La tenancière dévisagea les trois compagnons pour se faire une idée de leur mensurations puis dit :
— Elle les leur apportera, il lui faudra un quart de douze domas pour le tisserand.
Chunsène tira de sa bourse la somme demandée et tendit à l'aubergiste qui les fit disparaître avec la vivacité d'un prédateur fonçant sur sa proie.
La femme les conduisit ensuite au second étage. Dans les couloirs étroits, il était impossible de faire fi de son large fessier. Il se balançait lourdement à chacun de ses pas et s'il était une preuve indéniable d'une alimentation plus riche que celle des couches inférieures, les deux jeunes guerriers y virent une source de fascination qui éveilla des sentiments qu'ils maîtrisaient mal. Elle les mena vers un rideau qu'elle ouvrit. Derrière se trouvait une petite pièce sombre éclairée par une lampe à huile. Un rayon de lumière passait par une petite ouverture qui constituait la seule aération. Dans cette pièce aux dimensions modestes, étaient étalés trois matelas faits de paille. L'espace pour se déplacer était restreint, il y régnait une odeur d'huile brûlée, mais il faisait frais. La tavernière indiqua une cruche.
— Si les miens clients ont soif, ils peuvent se servir. S'ils ont besoin d'autres lampes, elle peut leur en apporter.
— Ça ira comme ça, merci madame, répondit Chunsène.
Depuis le début, la tenancière ne tenait pas compte de la personnification dont sa cliente usait pour s'adresser à elle. Elle avait déjà vu des étrangers et connaissait leur façon de s'exprimer. Au mot "madame" par contre, son visage laissa transparaître une vive surprise.
— Elle revient rapidement avec les vêtements, bredouilla-t-elle en s'inclinant maladroitement.
Rapide, elle le fut. Les trois compagnons eurent à peine le temps de déposer leurs affaires et de préparer leurs matelas que la femme était déjà revenue avec des robes parfaitement à leur taille. Comme par peur d'être une fois de plus trop personnifiée, elle repartie aussi vite qu'elle était venue en leur adressant un :
— Puisse le dieu Masham éclairer les miens clients des siens rayons les plus doux.
À tour de rôle, ils revêtirent leurs nouveaux habits. C'était des robes longues qui laissaient les avants bras dégagés. Le tissu de piètre qualité dégageait une odeur de camphre. Entièrement ocre, ces tenues étaient très différentes de celles des dignitaires aux couleurs bariolées. Ils auraient donc une allure de pauvre, ce qui n'était pas plus mal. Le port de robes gênaient un peu les deux jeunes guerriers, mais elles étaient nettement plus confortables pour le climat. Ils connaissaient maintenant le soleil d'Ur-Naram et jamais l'idée de remettre leurs anciens habits ne leurs seraient venus à l'esprit. Pour finir, ils attachèrent un morceau de tissu sur leur tête avec une cordelette de lin.
— J'aurais préféré me laver avant de passer de nouveaux vêtements, soupira Chunsène, mais je n'ai vraiment pas envie de redescendre jusqu'au fleuve.
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Mémoires du Monde d'Omne Tome II
FantasyÀ l'aube d'une nouvelle ère, la mécanique en marche sur le Monde d'Omne annonce les prémices du changement. Les armées du Thésan affluent vers Cubéria répondant à l'appel de Caribéris. L'invasion du Grandval se prépare, mais toute guerre bien menée...