Premier choc 2/6

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Le commodore se tourna sereinement vers ses hommes et aboya :

— Rassemblement en colonne. Je veux cinquante soldats en ligne, les autres se mettent en rang derrière !

Sans attendre, la marée d'hommes s'organisa. Le bouillonnement de leurs manœuvres couvrit le vacarmes des sauvages puis, lorsque tous furent parfaitement immobile et alignés, le vent seul s'entendait dans la plaine.

En face, le comportement bestial des Granvalais s'était calmé. À leur tour, il formèrent une longue colonne et commencèrent à descendre lentement la pente.

— Ainsi donc, ils sont organisés, s'étonna Darkolès et il viennent au conflit !

— Organisés, mais celâ me semble une très mauvaise strâtégie, rectifia Noriker.

Bernard les dévisagea tour à tour et fit remarquer d'un air grave :

— Gardons à l'esprit qu'il peut s'agir d'un piège.

Le seigneur de Maultier éclata d'un rire franc.

— S'en est forcément un !

Le commodore se tourna vers Noriker et s'esclaffa à son tour. Visiblement d'accord, ou peut-être animés par une semblable hystérie, ils se regardaient avec des yeux exorbités par l'excitation.

La bête de l'Othe maîtrisa de petits grognement fiévreux qu'il avait laissé échapper et descendit de sa monture. Il sortit son épée et beugla :

— Y'â qu'en y allant qu'on l'pourra savoir ! Je pârs avec les hommes.

Bernard fit de même :

— Je vous accompagne.

L'imposant seigneur de Béause les imita et s'exclama :

— J'y vais aussi ça me changera des bonnes femmes.

— Bien ! reprit le commodore, vous commanderez chacun vos hommes. On avance doucement et on attend le dernier moment pour se mettre en ligne. Notre formation sera la plus large ; au contact, on les submerge par les flancs.

Il fit tourner son cheval, contourna la troupe et descendit jusqu'au milieu de la colonne. Il pointa son bras en avant.

— Derrière mon bras, vous restez avec moi ! Devant mon bras... En avant... Marche !

Le rectangle formé se divisa lentement en deux carrés. Alors que celui de tête s'éloignait lourdement, Darkolès ordonna à celui de queue :

— Soldats... En avant... Marche !

Sur les pentes des deux élévations se déversaient les armées qui se dirigeaient implacablement vers le lieu de leur confrontation. Les Granvalais recommençaient à faire grand bruit, cris et percussions résonnaient dans toute la contrée.

— Ne vous laissez pâs impressionner par le boucan, aboyait Noriker, vous âllez leur montrer la puissance de la civilisâtion !

"Au fer de nos épées !" rugirent les Ugres.

L'avancée était lente et la bête de l'Othe continua sa harangue pour échauffer les têtes.

— Et vous Exiniens ! Aujourd'hui nous sommes à vos cotés. Celâ vous gêne ? Déversez votre colère sur ces sauvâges, combattez les comme s'ils étaient Ugres !

"Notre union est forteresse !" braillèrent les enfants des cinq comtés de l'ouest.

— Sârgonnais ! Vous régnez sur le Thésan... Montrez nous que nous ne sommes pâs inféodés à des gourgandines !

À cette provocation, s'éleva des rangs sargonnais un grondement de défie "Sargonne commande ou éteint !"

En face d'eux, les Grandvalais tournèrent subitement les talons et battirent en retraite. Ils remontèrent à toute vitesse la pente de leur colline et disparurent tous jusqu'au dernier derrière son sommet.

Noriker soupira et regarda en arrière. Le second carré suivait à bonne distance. Darkolès s'en détacha pour chevaucher jusqu'à eux accompagné d'un autre homme. Arrivé à leur niveau, le commodore bifurqua pour les rejoindre, l'autre continua tout droit.

— Il part en reconnaissance, on maintient la cadence ! lança le seigneur d'Armadoc.

— Bon sang ! ces gens vont-ils un jour se battre ? s'insurgea Madalbon.

— Ouais ! On est dans un drôle de pays, grogna Noriker.

— Quelqu'un a-t-il une idée de ce que ça cache ? demanda Bernard

Face à eux, l'éclaireur et sa monture se démenaient sur le terrain détrempé, tous regardaient sa pénible ascension, ils attendaient d'en apprendre plus.

— P-t-être bien qu'ils sont en plus grand nombre là derrière, répondit Darkolès, et qu'ils âttendent que l'on soit en pleine montée pour nous tomber dessus.

Les bouches se firent silencieuses, toute l'attention était portée sur cet instant qui allaient dicter le cours des événements. Il n'y avait plus tout autour, que le bruit de succion provoqué par leur milliers de pas. L'homme à cheval arrivait sur la crête, il s'arrêta et resta sans bouger.

— Qu'est-ce qu'il fait, grogna Madalbon d'une voix qui suintait le mépris.

— Il observe, se contenta de répondre Noriker. Çâ prouve au moins qu'il ne sont pâs juste derrière.

Leur avancée fut longue avant que l'éclaireur ne fasse demi-tour. Le retour ne fut pas plus rapide, la descente était plus complexe que la montée, il fallait prendre garde à ne pas blesser le cheval.

— Quel empoté ! lâcha le seigneur de Béause.

Personne ne répondit.

Arrivé sur le plat, l'éclaireur pu reprendre une allure normale. Il galopait encore lorsque Darkolès hurla :

— Et bien ! Qu'en est-il ?

— Ils ont dévalé à toute vitesse jusqu'à un terrain plat, puis ils se sont retournés. Ils ont l'air de nous attendre.

Le commodore attendit que le cavalier les rejoigne et lui demanda :

— Quelle est la situation ?

— Ils se sont placés en ligne entre un étang et une forêt, ils occupent tout l'espace entre l'eau et les premiers arbres.

Darkolès siffla entre ses dents.

— Un couloir d'étranglement, ils ont bien une stratégie.

— Oui, confirma Noriker, un déploiement lârge n'est plus possible, nous n'âvons plus l'avantâge du nombre.

— Et la cavalerie est devenue inutilisable, ajouta le seigneur d'Armadoc.

Puis il s'adressa à éclaireur :

— Va à la rencontre du reste de l'armée, tu leur explique ce que tu as vu et tu leur dis que nous continuons d'avancer pour engager le combat. Qu'ils accélèrent le pas et contournent directement la seconde colline. À leur arrivée, ils se tiennent prêts à prendre le relais si ça tournait mal pour nous.

Le cavalier hocha du chef et partit au triple galop. Le commodore se tourna vers les hommes et hurla :

— On continue ! Ces pourceaux nous attendent de autre côté, nous allons leur faire passer le goût du parjure !

Mémoires du Monde d'Omne Tome IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant