Au- dessus de l'île, rougeoyait le ciel léché par les flammes. Comme enfanté par le terrible brasier, un vent chaud venu du sud poussait l'Onde Furie. Le navire avait atteint la pleine mer et Ur-Naram était maintenant à bonne distance.
Accoudé au bastingage, Ménéryl regardait s'éloigner l'incandescente tempête, bercé par le heurt indolent de la coque sur les eaux placides. La réalité, espiègle, se plaisait à différer des plans échafaudés. Une simple visite à un malade avait plongé un empire dans l'hystérie du massacre et les éloignait maintenant de la Dacéana.
À quelle point avaient-ils tous été affectés ? Pour sa part, il ne ressentait rien qu'une formidable excitation car ils se dirigeaient maintenant vers le continent, le continent ! La civilisation, la terre des faiseurs de royaumes sur laquelle se cristallisaient tous ses espoirs. Il se détournait un peu plus d'un passé qui désirait sa mort.
Pour ses amis, il en allait autrement. Chunsène avait fait de Kéleuce une obsession dans laquelle elle s'était plongée à corps perdu pour ne pas affronter un cauchemar bien plus écrasant. Qu'en serait-il une fois le vieux sage trépassé ? Brankas, plus impénétrable que jamais, s'était rapidement endormi. Il n'aurait pas fait autrement si ce qu'il venait de vivre n'était pour lui qu'une chose négligeable. Dans sa dernière explication, il prétendait pourtant venir d'une île paisible et n'avoir jamais tué. Cela avait l'apparence d'une nouvelle affabulation, alors, pourquoi faisait-il mystère de son passé ? Et enfin Izba... Izba... Quelque chose avait changé... Plus impulsif, davantage tournée vers l'action, sa capacité de discernement avait-elle été altérée ? Le jeune homme devait en avoir le cœur net !
Il se redressa et chercha des yeux son ami. Il ne le trouva pas. Peut-être avait-il rejoint Chunsène et Kéleuce dans la cabine d'Adibyade, le vieux loup de mer l'avait immédiatement mise à leur disposition. Mais une impression étrange l'assaillit.
Tout était calme, tout était parfait. Le danger s'éloignait, la température était agréable et le ciel magnifiquement étoilé, une partie des marins sommeillait paisiblement à même le pont, mais quelque chose venait de rendre l'atmosphère oppressante. Une sensation venue de la poupe, ni bonne, ni mauvaise, simplement pesante. Le jeune homme s'y dirigea, convaincu que le phénomène était en lien avec son ami.
Évitant les corps endormis, il avançait prudemment, longea la paroi de la cabine arrière, puis, entre le bruit des vaguelettes et des ronflements, s'éleva soudain un grattement. Un grattement léger, furtif, presque inaudible qui pourtant, dans le champ sonore, surpassait le reste en intensité. Un second frottement monta soudain et lui répondait à la manière d'un écho.
Ménéryl dépassa la cloison de bois qui lui masquait la vue et aperçut Izba accroupi. Le jeune homme ne chercha pas à masquer sa présence, mais son ami ne le remarquait pas. Sa paire de scramasaxes en main, pointes tournées vers le plancher, il s'appliquait à graver deux lignes courbes avec une intense fascination. Serein, mais affairé, il passait et repassait ses lames contre le bois noueux, aussi obstiné que s'il cherchait à y répandre tout son être. Hémé, haute dans le ciel, baignait le corps replié et éclairait la curieuse besogne de sa lueur sanglante. Des mots furent prononcés, un murmure, cela venait du Nohyxois, il ne recevait aucune réponse, mais continuait... Un monologue !
Au sol, les deux lignes avaient fini par se rejoindre et formaient un cercle. Le Dacéanien y déposa les Guemminis et Ménéryl vit l'ensemble prendre feu. Un feu surnaturel où des flammes noires, intenses, vivaces, se mêlaient à des argentées molles et assoupies. Elles ondoyaient de façon étrange, pareilles à un être animé de vie. Son ami ne semblait pas les voir. Les yeux dans le vague, il restait accroupi. Lugubres et venimeuses, les flammes montaient jusqu'à son visage et l'enveloppaient de leur éclat fuligineux. Elles ne le consumaient pas, elles ne le brûlaient pas, on eût dit qu'elles aspiraient seulement à calciner son âme.

VOUS LISEZ
Mémoires du Monde d'Omne Tome II
FantasiaÀ l'aube d'une nouvelle ère, la mécanique en marche sur le Monde d'Omne annonce les prémices du changement. Les armées du Thésan affluent vers Cubéria répondant à l'appel de Caribéris. L'invasion du Grandval se prépare, mais toute guerre bien menée...