L'épopée de Claudion mériterait un livre entier et il n'est pas nécessaire, pour décrire les relations diplomatiques entre Sargonne et l'Othryst, que je vous en fasse ici détails. L'important est que les tribus qu'ils rencontrèrent se montrèrent plus farouches que celles affrontées par leur père. Il existait moins de rivalités entre elles et leurs chefs de guerre se montrèrent bien plus stratèges. Ils feignirent la faiblesse, se rendirent sans combattre, donnèrent des otages pour que l'armée othrystine, en confiance, s'aventure toujours plus loin vers le nord. Mais ce ne fut que pour mieux les encercler. Faisant fi des otages, ils attaquèrent lorsque les trois princes furent suffisamment éloignés de ceux de leur race. Les fronts s'étendaient de toutes parts pour l'armée othrystine et le clairvoyant Claudion prit le risque d'aventurer ses troupes toujours plus loin au nord. Il avait entendu parlé d'un fleuve qu'il situait dans ce qui est aujourd'hui l'actuelle Mysergne et il était pour lui leur seul espoir. Les soldats dormirent peu et mangeaient en marchant. Ils finirent par la Verrance, elle fut leur salut. Leur flanc nord protégé par les eaux, ils purent organiser leurs défenses.
Gaïl le Vénérable, Mémoires du Monde d'Omne.
***
L'homme illustre se tourna et tendit la main vers l'est pour désigner une porte minutieusement ouvragée. Son ouverture était entourée par de hauts-reliefs représentant des femmes et d'enfants symboles de fécondité. Une trentaine de gardes armés de lances en sortit alignés sur deux rangs, à leur tête marchait un homme de la plus haute distinction militaire. Contrairement aux autres, il ne portait qu'un glaive à la ceinture, un glaive fait d'or ainsi que son plastron et son casque. Étincelant au devant de la troupe aux armures de cuir ternes, la supériorité de son rang était éclatante. La colonne se dirigea vers le fond de la terrasse, au plus proches du mur de briques claires. Les lanciers s'alignèrent, se tournèrent face au publique et s'immobilisèrent en tapant simultanément le bas de leurs lances sur le sol.
La démonstration martial avait fait s'abattre sur la ville le silence et l'attention du public était toute acquise. Émergea alors du couloir enténébré un vieillard. Perclus de rhumatismes, le corps tremblant sous le coup de l'effort, il avançait péniblement cramponné à un bâton. À son apparition, l'orateur s'éclipsa, les soldats se raidirent et la foule en contrebas l'accueuilli par un tonnerre d'acclamations.
- Sardan ! chuchota Brankas à l'intention des deux jeunes guerriers.
À sa suite, marchait une cohorte de femmes qui sortirent par dizaines. Toutes partageaient le lit impérial, avait précisé l'archer le regard envieux. Il y en avait de tout âges, drapées d'étoffes d'un blanc immaculé que maintenait à la taille une tresse de fils dorés. Elles exhibaient leurs enfants, ils y en avait une profusion, au moins une centaine et le plus jeune ne marchait pas encore.Un étalage portant au pinacle l'incroyable vigueur de l'empereur et visant à montrer au peuple que l'âge n'avait en rien entamé sa fabuleuse virilité.
Des hommes se mirent à jouer des percussions sur des tambourins en terre cuite et des joueurs de luths les accompagnèrent. Sardan était maigre, couvert de rides et avait enroulé sur sa tête les vestiges d'une chevelure devenue éparse. Il avançait courbé, le pas traînant, ses membres avaient perdus toute souplesse et c'est à peine si ses muscles le portaient. Son existence avait été longue, son corps avait atteint ses limites et sa vie était sur le point de s'achever. Pourtant le vieillard était heureux. Il souriait et, s'aidant de sa canne, il entama une danse tout en continuant sa pénible progression. Les spectateurs hurlaient des encouragements à l'Éblouissant et acclamaient leur souverain bien aimé. Au dessus, des jeunes femmes bien faites jetaient des pétales de roses qui tombait en une pluie paisible et colorée. Une extravagance qui avait nécessité un voyage en pays lointain afin que puisse être dispersée aux quatre vents ce matériau délicat et précieux.
L'empereur se trémoussait de plus en plus et faisait prendre de gros risque à ce corps qu'il aurait dû ménager. Envoûté par la musique, Ménéryl fixait intensément la scène qui se déroulait sous ses yeux, fasciné par le magnétisme qui s'en dégageait. Il oublia le monde autour de lui, il oublia le lieu où il se trouvait, la conscience engourdie, il ne faisait plus que ressentir l'atmosphère dans laquelle il baignait. La saveur de la pêche qu'il avait mangé plus tôt lui revint en bouche avec une merveilleuse intensité. Des émanations de cannelle, de girofle et de cumin venu des étages inférieurs embaumaient une atmosphère déjà saturé par les odeurs de pierres chaudes. Pourtant, le jeune homme arrivait à distinguer le parfum subtil et délicat soustrait aux roses dans leur paresseuse chute. Même dans l'air pesant et endormi, il pu sentir la moindre brise qui s'achevait à peine commencée ou alors, était-ce la respiration des nombreuses âmes qui l'entouraient ? Vue, ouïe, odorat, toucher, goût, tous ses sens s'étaient soudainement aiguisés. Peut être même autre chose encore, autre chose de plus profond, de plus intérieur. Il n'était plus qu'un être de perception, hypnotisé par le vieil homme qui dansait, dansait, comme si son âge ne comptait plus. Tout à coup des taches noires apparurent à proximité de lui. Une par une, lentement elles se dessinèrent jusqu'à devenir un important essaim qui se mit à onduler et à tourner autour de l'empereur avec la l'indolence d'insectes attirés par une flamme.
- Qu'est-ce donc que ces choses qui virevoltent ? demanda-t-il à Izba.
- Quelles choses ? répondit le Nohyxois.
- Tu ne les vois pas ?
Sans détourner le regard du spectacle, Izba fit non de la tête.
Le jeune homme se tourna vers Brankas.
- Vous non plus ?
- Je vois des femmes magnifiques arroser un puissant souverain de fleurs précieuses venu du bout du monde. Je vois un vieillard que son corps devrait contraindre au lit frétiller comme un jeune éphèbe dont la vie est devant lui. Je vois la cohorte de soldats de musiciens d'enfants et de femmes qui l'entourent et s'approprie un peu de son éclatante lumière. Pour le reste, vous êtes un farfelu, il n'y a rien.
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Mémoires du Monde d'Omne Tome II
FantasíaÀ l'aube d'une nouvelle ère, la mécanique en marche sur le Monde d'Omne annonce les prémices du changement. Les armées du Thésan affluent vers Cubéria répondant à l'appel de Caribéris. L'invasion du Grandval se prépare, mais toute guerre bien menée...