Vingt deux ans après la création de L'Othryst, Aranéos mourut. Un règne aussi long avait été gage d'une stabilité qui ancra ce pays dans le paysage Thésanais. Son premier fils, Sathos, hérita de la cité d'Aranéos et avec elle du pouvoir sur les autres villes othrystines. Mais, les filles de l'ancien roi considéraient leurs enfants comme les véritables héritiers de la dynastie aranéïde. Elles s'allièrent contre leur frère pour que soit éradiquée la lignée souillée. Quatre cités contre deux, les princesses aranéïdes étaient largement plus fortes et, bien que n'ayant rien contre la Systagène, cela obligea Sathos à naturellement se tourner vers Sargonne. Claudion vint en aide à son demi-frère et stoppa l'avancée des quatres soeurs.
Gaïl le Vénérable, Mémoires du Monde d'Omne
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L'herbe de transcendance, ainsi était nommée la jumalaïa par abus de langage. La partie aérienne de la plante n'avait en réalité aucune fonction utile à l'homme, seul le tubercule était utilisé. Après avoir été séché et réduit en poudre selon une méthode connue des seuls apothicaires Sydrukéens, son utilisation pouvait apporter quantité de bénéfices dans de nombreux domaines. Le plus usité était celui de l'éveil spirituel ; les facultés intellectuelles étaient prodigieusement augmentées, mais au prix d'une sévère décrépitude du corps. En moindre dose, savamment mélangé, puis infusé dans l'eau secrète de Natos, il pouvait, à l'opposé, ralentir le vieillissement du corps sans pour autant allonger la vie.
Une décoction enfantée par les prêtresse de Näaria, au creux des sommets de l'Argonias, là où naît la source du Plégéron. Dominée par les cimes aveuglantes où sommeillent les neiges éternelles, c'est dans une vallée de roches chauffées par le soleil que fut élevé leur temple comme une enceinte autour de l'exsurgence mère du fleuve. En Systagène, ces femmes formaient une élite vouée à l'étude des préceptes de la domina soigneuse, elles constituaient l'ordre sacré du "Väana Nagaris" et côtoyaient les arcanes liées à la matra.
Véra connaissait les secrets de la jeunesse étendue et bien d'autres aussi. Elle était fille de Pénécligès, ancien roi de Naxène, de la tribu des Sigiphiloques. En tant que septième enfant du souverain, elle fut instruite au temple de Näaria et initiée au mystères de l'intangible réalité. Dès l'époque de sa floraison, elle avait su faire reculer le vieillissement de son corps, mais depuis plusieurs mois, l'herbe de transcendance ne parvenait sur le continent qu'en quantité limitée.
Malgré la fraîcheur apportée par la fin du jour, elle était accablée par des bouffées de chaleur qui montaient sournoisement. Elle se sentait vieillir et l'impression se précisait alors qu'elle se dirigeait vers la salle du trône où elle avait fait mander Bravonarol. Il avait fallu orienter les pensées de ce maudit prêcheur et la réserve de la reine mère avait dû être mise à contribution. Finalement, c'était sa jeunesse artificielle qu'elle avait offert en sacrifice, un renoncement nécessaire, peut-être même irrémédiable, mais dévoyer les convictions d'un être n'était pas suffisant. Le serviteur pouvait être un ennemi sans même en être conscient, Véra le savait, bien des imprévus pouvaient se cacher les passions que dictent le cœur. Elle voulait le jauger, le royaume ne pouvait être pris au dépourvu face aux pulsions d'un homme de cet acabit.
La reine mère n'avait pas pris le chemin de la grande porte gardée, mais se dirigeait vers la discrète entrée réservée au roi. Le trajet était plus long, mais Vera voulait prendre le temps d'observer dans l'attitude solitaire de l'ecclésiaste, la gestuelle et les mimiques qui pouvaient être dissimulées face à une présence royale.
Elle pénétra dans un long corridor dont le flanc droit était garni de meurtrières. La douce lumière du jour finissant projettait à travers les ouvertures des rayons paisibles qui hachuraient le couloir de manière parfaitement régulière. Alors que la reine mère avançait entre pénombre et clarté, elle se sentit soudainement las. Marcher lui posait des difficultés. Ses membres n'étaient plus aussi souples, ils étaient devenus lourds et avaient perdu de leur assurance. Elle s'arrêta près d'une meurtrière. Son regard se posa sur les étendues des plaines de Cubéria. Au loin, s'écoulaient inlassablement le Fleuve Bleu et le Nirh. Un spectacle immuable, intemporel, combien d'êtres l'avaient-ils contemplé de la même manière ? Combien le contempleront-ils encore ? Les yeux de Véra se posèrent alors sur ses mains. Des sillons s'y étaient creusés. Ses bagues, autrefois simples parures sur ses doigts lisses et fins, étaient devenues aujourd'hui un camouflage sur les ruines d'une beauté terrassée. Ses pensées se tournèrent vers sa domina, comme une prière lui étant adressée.
Ô Näaria, toi qui vénérait la vie comme si elle trônait au sommet du panthéon des dieux, je n'ai cessé de trahir tes enseignements depuis le jour où j'ai épousé le descendant du roi infanticide. Sa lignée est maintenant celle de mon fils et elle est devenue ma seule religion. Voilà ma punition pour m'être détournée de tes principes et je l'accepte sans affliction, car ma dynastie est la seule dévotion qui vaille face à l'éphémérité de l'être humain.
Son esprit revint à la réalité qui l'entourait. La porte n'était plus très loin, le Pémès était déjà dans la salle du trône et elle devait s'assurer que ses sacrifices n'avaient pas été faits en vain. Elle reprit sa progression en usant de la marche sans bruit du Väana Nagaris. La petite ouverture que constituait l'entrée du roi était partiellement cachée par le trône. Même si elle pouvait être aperçue, Véra ne fit rien pour se cacher, elle se contenta simplement d'effacer sa présence. Aucun bruit, aucune odeur, pas même la sensation d'être observé ne pouvait plus la trahir. Non loin de la grande porte, Bravonarol était immobile face à une torche. Il avait abandonné les fastueux habits qui lui avaient été donnés et avait à nouveau revêtu sa misérable robe marron. Ses yeux, fixés sur la flamme, étaient comme fascinés par son ondoiement. Étrangement, il n'était pas seul, le jeune prince Harion était à ses côtés. La fin du jour enfonçait la salle du trône dans la pénombre, ils étaient tous deux seulement accompagnés par le silence.
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Mémoires du Monde d'Omne Tome II
FantasyÀ l'aube d'une nouvelle ère, la mécanique en marche sur le Monde d'Omne annonce les prémices du changement. Les armées du Thésan affluent vers Cubéria répondant à l'appel de Caribéris. L'invasion du Grandval se prépare, mais toute guerre bien menée...