Extinction impériale 3/3

6 3 4
                                    

Brusquement, la dépouille fut pris d'un soubresaut. Les gardes se raidir à nouveau et l'attention qui s'était relachée revint sur l'empereur. Ses mains tâtonnèrent le sol, un peu égarées au début, mais elles se raffermir subitement. Il y prit appuie et se releva avec une énergie peu naturelle pour un vieillard et, qui plus est, pour un mort. Izba, Ménéryl et Brankas regardaient la bouche ouverte.

Joueurs de luths et de tambourins reprirent leur activité à un rythme effréné, les femmes se redressèrent et poussèrent des cris rituels suraiguës en agitant les bras au dessus de leurs têtes. Elles étaient passées en un instant d'un abîme de tristesse à une explosion de joie.

Sardan titubat un peu puis se stabilisa. De la plaie béante qui luisait au sommet de son crâne, la peau s'était détachée et retombait en vaguelettes flasques sur son visage. L'empereur y plongea ses doigts, saisissant vigoureusement chaque extrémités et se mit à tirer dessus comme un possédé. L'effort et la douleur lui arrachaient des cris effroyables, l'épiderme se dechirait et un liquide visqueux d'un rouge extrêmement sombre s'échappa du sillon chair qui s'ouvrait. Le souverain poussa un hurlement furieux et se remit à tirer de toutes ses forces. La blessure s'écartait, le trou s'agrandissait et une touffe de cheveux noirs en sortie. Le derme lâcha et une fissure pourpre se creusa d'un coup jusqu'au nombril. Dans une gerbe de sang une tête jaillie du cratère de peau, puis le début d'une épaule. Les mains de l'empereur attrapèrent alors les lanières carnées qui pendaient sur son torse écorché et  arrachèrent violemment le reste de cette enveloppe usée. Un homme en émergea complètement nu. Plus grand, plus musclé, plus jeune aussi et au sommet de sa splendeur. Il écarta puissamment ses bras en poussant un rugissement féroce, dans ses yeux flamboyait le triomphe et il toisait les spectateur pointant sur eux son membre viril érigé vers les cieux. Il leva ses poings fermés et la foule exulta. 

Sardan riait aux larmes, il riait d'un rire franc qui s'écoulait comme depuis trop longtemps contenu. Il était éblouissant de bonheur, emplit d'une joie éclatante et pure. 

Sereinement il se tourna vers ses gardes et resta un instant à les contempler. Comme attiré par un but bien précis, il tourna le dos à la foule et avec une grâce féline s'approcha de l'un d'entre eux. Sans même lui adresser la parole, il lui arracha des mains sa lance et revint tranquillement sur ses pas. Il la brandit en direction des spectateurs qui l'acclamèrent et avec une débauche de violence la ficha dans l'abdomen de l'homme qui lui avait ouvert le crâne. Le malheureux s'effondra le regard emplit d'incompréhension. 

L'empereur jeta dédaigneusement l'arme sur le sol et se tourna vers la foule en affichant un sourire radieux. Tel un être assuré de son omnipotence, il écarta de nouveau les bras et les regardait de toute sa hauteur les yeux exorbités.

— Je suis régénéré ! lança-t-il d'une voix ferme et puissante.

Le silence se fit.

 — Je suis l'Éblouissant, le Merveilleux, les dieux voulaient conserver ingénéreusement la leur éternité pour eux seuls... Je les ai défiés... Je les ai vaincus !

Les hurlements et les applaudissements reprirent de plus bel, ils étaient hystériques. Dans une posture pleine d'arrogance, l'empereur dieux se tournait de droite à gauche pour que tous puisse profiter de sa magnificence.

— À partir de ce jour, le vôtre souverain  ne doit plus être révéré comme un empereur mais vénéré comme un dieu ! Le temps des successions dynastiques est achevé, je régnerai sur l'empire de Sargad pour les siècles des siècles et le Monde d'Omne finira sous la mienne domination. 

Brusquement, la masse des spectateurs se prosterna. Pris au dépourvu, Ménéryl jeta un œil vers Brankas et le vit en faire autant. Izba le regardait. Ils hésitèrent,  leurs caractères fortements trempés leur commandant de rester debout.

— On ne doit pas se faire remarquer, lança le guerrier à la peau bleue.

En un instant, le jeune homme repensa à Chunsène et à la situation qui pouvait tourner mal. Refoulant sa fierté, il se conforma à l'attitude populaire et le Nohyxois l'imita.

Mains sur les hanche, Sardan regardait les habitants d'une ville entière tomber en vénération devant sa personne. Il poussa un hurlement de joie et éclata de rire, enivré par un sentiment absolu de toute puissance. Plein d'allégresse il lança :

— C'est jour de fête et le mien peuple peut se relever. Que l'arène soit ouverte, qu'il prenne place, les festivités vont commencer. 

Mémoires du Monde d'Omne Tome IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant