Premier choc 4/6

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Noriker avait été séparé de Bernard, il effectuait sa dernière manœuvre lorsque les Granvalais se jetèrent sur eux. Heureusement, la première ligne avait pu remettre en place une défense solide, mais la puissance de ces guerriers était féroce et il en aurait été autrement sans l'imposante stature des Noromions. Noriker reçut un terrible coup de hache sur son écu, il envoya la pointe de son épée vers l'avant, la ramena vers lui pleine de sang. Une silhouette tomba. Alors que le corps se faisait piétiner il se remit en défense. À sa droite, se tenait un solide Noromion maniant la masse d'armes. Avec rage il l'abattit et éclata le crâne d'un adversaire. Les yeux sautèrent et la bête de l'Othe fut arrosée de cervelle. Une pierre tomba sur son bouclier, il esquiva un coup d'épée bien placé et contre-attaqua à nouveau. Ce coup-ci sa lame resta coincé dans le corps d'un ennemi qui continuait de frapper comme un enragé. Noriker eut le temps d'apercevoir un autre guerrier qui, tentant de profiter de sa mauvaise fortune, faisait fondre sa lame sur lui. Il esquiva de justesse et l'assaillant fut anéanti par le Noromion qui se trouvait à ses côtés.

— Au fer ! hurla le seigneur du Maultier. Il envoya un coup de bouclier fulgurant et fendit le visage de son ennemi jusqu'aux dents. Le corps tomba libérant l'épée. Il s'apprêtait à frapper à nouveau.

Le son du cor retentit dans la plaine, Noriker para une attaque puis fit un pas en arrière alors que la seconde ligne s'avançait pour prendre le relais.

Essoufflé, le cœur emballé par l'effort, il repartit vers le dernier rang et observa. Sur l'ost se déversait l'ennemi. Une marée de corps imposants, de torses nus et de visages furieux que les blessures ne faisait que plonger davantage dans l'hystérie.

Odoacre était en première ligne, sa poigne était ferme et il contenait bien les sauvages. Son épée en bon entracier taillait bien. Un combattant à la peau rouge et jaune avait pris appui sur l'un des siens pour bondir sur le seigneur du Véhen. Il fut tranché du cou jusqu'à l'entrejambe avant même d'avoir atterrit.

Sur l'autre flanc, un solide Granvalais à grosse tête tapait sur tout ce qui bougeait. D'un seul coup, il occit deux soldats à l'aide d'une longue lance . Un Ugre juste à côté la brisa de son épée. L'arme vola en éclat, mais le forcené abattit sur le soldat le tronçon du manche et lui fracassa le crâne jusqu'au nez. Le Grandvalais était effroyable, son corps difforme dégoulinait de sang. Son regard idiot, indiquait qu'il ne s'arrêterait qu'une fois l'ost transformé en un entassement de cadavres. Elbe le Vieux l'avait bien compris et son adresse était grande. Il frappa de son glaive et fendit les côtes jusqu'à l'échine. L'ennemi bougeait encore. Sa résistance était admirable, mais bien plus grand était l'acharnement du seigneur de Val-et-Mer. Il avait déjà sorti sa lame rougie et la vaillance du sauvage s'éteingnit alors que sa tête toute entière fut coupée en deux.

Les tribus étaient féroces, mais l'ost frappait d'un bloc. La mêlée était prodigieuse. Noriker en détourna un instant son attention. Son regard s'attarda sur l'étang à côté ; l'eau calme et placide jurait avec l'instinct de survie qui faisait bouillonner la plaine. Mais les cris de fureur, le fracas de l'acier, le piétinement du sol embourbé et son bruit de succion permanent, semblaient atténués par les vaguelettes sereines à la surface de l'onde. Les voix des hommes étaient lointaines, des soldats aguerris rabrouaient ceux que l'inexpérience menaçait de paralyser au moment du choc. Une odeur âcre de colique vint chatouiller les narines du milite. Trop tard pour certains, la peur qui les animait avait tordu leurs boyaux. Pour ceux-là, la boue serait une solide alliée qui masquerait leur émotivité.

Un mouvement de foule fit tanguer les rangs jusqu'à Noriker. Il faillit perdre l'équilibre. Le soldat à ses côtés se redressa promptement, mais il avait pour se faire baisser sa protection et un lourd caillou lui fit exploser la face. Le seigneur du Maultier fut aveuglé par les éclaboussures et un morceau d'os se planta dans sa joue. Il leva son écu en protection et s'essuya le visage. Le malheureux au sol bougeait encore, il lui ficha la pointe de son épée dans la gorge et braya avec force :

— Ces gaillards vendent chère leur peau, attendez seulement que je revienne à leur niveau !

Les hommes autour hurlèrent avec frénésie, le cor sonna, la rangée de Noriker s'avança alors que les soldats du front rejoignaient l'arrière. La curiosité du milite se porta alors sur le sang neuf arrivé en première ligne.

Il y avait bien longtemps qu'il n'avait connu telle mêlée. Les coups étaient durs, la bataille brutale. Les morts encombraient le sol de leurs carcasses inutiles et des vivants tombaient viscères et liquides. Même les Noromions avaient maille à partir avec ces guerriers que les blessures les plus sales n'entamaient pas dans leur détermination.

Dans les rangs, les enfants d'Armadoc se montraient aussi impétueux que les sauvages qui leur faisaient face. Par le feu de leur courage, ils engaillardirent leurs frères Sargonnais qui compensaient leur inexpérience par une redoutable pugnacité. Mais leurs pertes étaient les plus lourdes. Une percée se fit, les Granvalais enfoncèrent le centre. La bleusaille fut piétinée sur deux lignes, à la troisième se trouvait Gudrun qui s'employa à les stopper. Le solide guerrier de la maison d'Agrecamps était impressionnant, remarquable. Comme un fauve, il s'était jeté dans le chaos et avait laissé libre court au besoin qu'il avait de frapper. Il tuait aussi bien avec ses armes qu'avec ses poings. Face à sa terrible puissance, les corps tombaient les uns sur les autres. Des Grandvalais, il fit un massacre.

Un nouveau coup de cor, la première ligne passa vers l'arrière, Noriker avança.

Il jeta un œil en amont et en aval. Bernard était toujours là, il s'en était bien tiré. Les gars faisaient du bon boulot, les hommes tombaient davantage dans le camp d'en face. Plus loin, le gros Madalbon était au corps à corps avec l'ennemi et il ne s'attardait pas pour frapper. Ça n'était finalement pas qu'un gras double pervers, il se plaisait dans le combat. Son étoile du matin orna les environs de pourpre et d'entrailles ; alliée à la puissance de son bras, elle s'exprimait avec une barbarie que l'ennemi connaissait trop bien. Le seigneur de Béause était redoutable, il se montrait hardi dans la mêlée. Les victoires faciles et les guerres faite à des femmes, n'avaient été pour lui qu'une excuse au meurtre. Il était avant tout un tueur sanguinaire que l'intrépidité grandvalaise exaltait au plus haut point.

La bataille virait au massacre. C'était une boucherie ! Ces corps féroces, sans protection, se précipitaient sur une armée organisée, couverte de pointes et d'acier. Nonobstant la ténacité et l'acharnement de l'ennemi, ses flancs lâchaient, il allait être submergé. Les yeux de Noriker revinrent sur l'eau tranquille.

L'EAU ! Sous sa surface, se dessinaient les contours d'amas sombres que les remous faisaient onduler. Des centaines de masses sinistres reliées à de gros brins de paille qui remontaient à l'air libre.

Le cor sonna, la ligne derrière Noriker avança mais il resta sur place, gênant son voisin. Ils tourna la tête du côté de la forêt, des silhouettes approchaient furtivement. Elles étaient aussi nombreuses que les arbres qui les cachaient.

Mémoires du Monde d'Omne Tome IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant