16. En garde

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Le lendemain après-midi, ravin aux pins Douglas


Emma avait dû être installée sur la montagne à quelques centaines de mètres de la crevasse où était prisonnier l'Ancien Vampire. La veille, les sentinelles que Zaria avait laissées autour du chalet avaient découverts des traces suspectes dans la forêt aux alentours et il n'avait pas l'intention de la laisser seule, hors de sa portée, même entourée de soldats pour la surveiller. Aodhan l'avait transportée lui-même jusque dans le ravin près du ruisseau, ému par son calme et sa confiance, ses yeux si clairs derrière ses lunettes d'aviateurs brillants comme des joyaux.

L'Ange s'étonnait encore de sa légèreté. Son corps ne lui paraissait pas aussi fragile avant qu'il la transporte dans ses bras ainsi. Un oiseau. Emma avait la légèreté d'un oiseau. Ce n'était pas normal, elle ne pouvait pas être si fragile. Il lui semblait qu'elle était plus grande que nature avec toute sa vitalité, sa force et sa rage de vivre. Les soleils se devaient d'être bien plus grands, bien plus brillants, bien plus forts! Emma ne pouvait pas être aussi fragile, il ne le supporterait pas.

Empathique, il pouvait ressentir toute son émotion. Il avait l'impression qu'elle absorbait le moment, ses traits trahissant une intensité peut-être encore plus grande que ce dont elle avait fait preuve depuis qu'elle était entrée dans sa vie.

— Est-ce que tout va bien?, demanda-t-il, tout de même un peu inquiet de son silence. S'était-il déjà habitué à ce point à son exubérance?

Il n'avait pas transporté beaucoup de gens en vol mais il en savait assez long pour se demander pourquoi Emma, qui était toujours si vive, chantante, dansante, radieuse, semblait soudainement muette, presque intimidée. Les gens, d'habitude, avaient toujours des réactions d'émerveillement et de joie ou encore de panique et deterreur car voler ne laissait personne indifférent. Voilà donc pourquoi, soudainement, cette Emma discrète, avec sa fragilité d'oiseau l'inquiétait.

— Je savoure le moment, répondit-elle, sa voix vibrante de l'admiration révérencieuse qu'on adopte dans une galerie d'art. Aodhan sentait qu'il pouvait rejoindre et surtout apprécier cette Emma-là aussi.

Il l'avait donc laissée dans sa bulle, touché par la passion retenue qu'il percevait maintenant en elle. Il pouvait comprendre ce type d'admiration silencieuse, cet état contemplatif faisait écho en lui. Il suivi son regard vers l'horizon, à l'abri derrière ses énormes lunettes et se prit lui aussi, pour les quelques minutes que dura le trajet jusqu'à leur poste dans la montagne, à admirer le paysage. Le parfum de jasmin de ses produits hygiéniques mêlé à l'odeur d'huile d'argan de ses cheveux contribuaient à augmenter la bulle d'intimité qui se tissait peu à peu autour d'eux.

— Je t'emmènerai faire d'autres tour, Lutine, promit-il d'une voix douce alors qu'ils descendaient vers leur destinations, Zaria et les autres membres de sa troupe prenant position tel que prévu autour du ravin.

Sourire épanouis, regard brillant, joues rosies par l'émotion, elle n'avait pas eu besoin d'exprimer sa joie avec des mots, son corps d'oiseau parlait pour elle. Aodhan la serra plus près de lui afin de la protéger de l'atterrissage. Il senti, en une caresse fugace, furtive, la joue d'Emma effleurer la sienne.

Elle était glacée. Il s'offusqua un instant qu'elle ne lui ait rien dit, mais elle l'arrêta d'un geste de la main.

— Je n'ai pas froid, promis. C'est juste l'effet du vent.

— Ouais, on va faire comme si je te croyais, soupira-t-il. Tu aurais du me dire que tu avais froid.

— J'aurais pu, mais ç'aurait été un mensonge.

Encore une fois, il eut envi de l'emporter plus longtemps, plus loin, quelque part où elle pourrait recevoir des soins. Pas dans une mission qui pouvait s'avérer dangereuse selon la réaction de l'Ancien.

Encore cinq minutes! (en relecture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant