Encore cinq minutes! (en relecture)

39. Les Chasseurs de la Guilde (partie 3)

Vivek

— C'est quoi, cette nouvelle histoire, demanda Ashwini dans l'ascenseur. Il me semblait que le moindre contact physique te transformait en générateur d'insulte premium.

— C'était vrai, jusqu'à hier soir. Et c'est probablement encore vrai si tu effleures mon épaule. Mais hier, j'ai un peu poussé la machine.

— Poussé la machine?

— Je me suis occupé d'Emma.

— Occupé d'Emma, siffla Ashwini, admirative.

— Pas comme ça, andouille. Mais, disons que depuis son arrivée, on a eu beaucoup plus de contacts physiques que j'en ai eu pendant les dernières années. D'abord, il y a son... indigestion matinale, puis ensuite, la bêtise d'Illium qui a presque réussi à me faire enrager. Je n'allais pas la laisser pleurer comme une enfant perdu au milieu du lit. Je ne suis pas un sans-coeur! Et puis...

— Et puis elle s'est glissé dans ton coeur bien trop grand pour rester vide, comprit Ashwini.

Vivek hocha la tête, dirigeant son fauteuil vers la place de stationnement de son véhicule. Il ne servait à rien de se voiler la face. Ce qu'il ressentait pour son amie allait bien au-delà de tout. S'il avait cru à ce genre de connerie, il aurait dit qu'Emma était son âme soeur. En vérité, il n'avait pas vraiment de meilleure méthode pour définir ce qui grandissait entre eux.

— Tu vas faire quelque chose, demanda Ashwini, marchant à ses côtés.

— Ben non, qu'est-ce que tu crois, gronda l'informaticien. Je suis à moitié paralysé et je ne m'appartiendrai pas vraiment avant encore quatre vingt quinze ans.

— C'est encore drôle, ça.

Vivek poussa un soupire exaspéré. On dirait que ses explications d'il y avait à peine dix minutes n'avaient pas été assimilées.

— Ce n'est quand même pas le bon moment. C'est Minus, elle viendra à moi lorsqu'elle sera prête, si elle l'est un jour. En attendant, sais-tu si Kendra a quelqu'un en ce moment?

— Kendra?

Ashwini ouvrit la portière du côté passager, sachant fort bien que Vivek savait se débrouiller seul.

— Tu viens pas d'admettre que tu éprouves des sentiments pour Emma il y a à peine dix secondes?

Merde, dans quel pétrin était-il allé se fourrer? Il était trop tard pour reculer, il avait ouvert la porte.

— Ouais, on peut dire ça comme ça, céda-t-il, méfiant.

— Et, juste pour que ce soit clair pour moi, tu veux quand même savoir si Kendra est libre?

— Ouais... j'ai découvert une autre chose hier soir.

— Ça marchera pas, fit Ashwini.

— Comment ça?

— D'abord, parce que Kendra a quelqu'un en ce moment. Mais surtout, parce que si tu visualises une fille nue, là, maintenant, elle est blonde ou rousse?

Vivek grommela, prenant place derrière le volant. Prenant le mécontentement de son ami comme une confirmation qu'elle avait raison, Ashwini continua:

— Tu crois vraiment qu'une fille du groupe va avoir envie de sauter au lit avec toi en sachant que tu t'imagines avec une autre? C'est franchement dégradant, ne crois-tu pas?

— Mais... Ash! Je... la volontaire ne le regrettera pas, je te le jure.

— C'est même plus une personne, aussi subitement que ça, ça devient une volontaire. Patiente un peu, mon ami et arrange-toi seul pour le moment. Laisse le temps te réparer. Ait confiance.

D'un mouvement sûr, l'informaticien replia son fauteuil et le balança à l'arrière de la voiture avant de commander la fermeture de la porte arrière et de rabattre sa propre portière. Son véhicule était adapté pour que touts les contrôles soient manuels, mais il pouvait aussi être conduit de manière conventionnelle. Considérant que Vivek était capable de s'installer sur le siège conducteur, on avait pas modifié celui-ci dans l'éventualité que plus tôt que tard, il récupérerait l'usage de son corps tout entier. De surcroît, si nécessaire, une personne valide pouvait utiliser la camionnette seulement en entrant une série de commande dans le tableau de bord. Il démarra, l'air mécontent et la mine boudeuse.

— J'en ai marre d'attendre.

— Regarde tout les progrès que tu as fait en à peine quelques années. C'est quoi, encore quelques mois? Viens pas me faire croire que tu ne sauteras pas sur toutes les occasions. De plus, si j'en crois ce que j'ai vu ce matin, je pense qu'elle n'hésiteras pas a avoir les mains sur toi pour tester les limites de ton système nerveux.

— C'est pas mon système nerveux qui va avoir le plus gros travail, c'est ma volonté.

— Dans ce cas, je ne suis pas inquiète. Tu es la personnes la plus volontaire que je connaisse.

Prenant la route vers la Guilde où ils retrouveraient les autres Chasseurs pour une journée d'entraînement en groupe, Vivek garda le silence. Une autre peur, encore plus profonde le rendait nerveux vis-à-vis sa nouvelle découverte. Il avait beau se dire que non, Emma n'était pas comme ça, il n'arrivait pas à se raisonner. Avant de sombrer pour de bon dans la mauvaise humeur, il décida qu'il valait sans doute mieux s'ouvrir à une amie. Et bon, puisqu'Ash était là, aussi bien en profiter.

Ashwini était plongée dans ses pensées, observant la ville qui défilait autour d'eux. Ça, c'était quelque chose qu'elle n'avait vraiment pas vu venir. Se faire conduire par Vivek, quelle victoire! Elle s'attendait à terminer le voyage en silence, son ami était visiblement en train de s'enfoncer dans une de ses humeurs, lorsqu'il jeta dans l'air une toute petite phrase lourde de signification.

— Je ne veux pas être un projet.

Six mots, qui en disaient des masses sur la profondeur de la blessure qui restait enfouie au coeur de l'informaticien. Ashwini prit un moment avant de répondre, pesant ses mots avec soin.

— Si t'es un projet, c'est que c'est pas la bonne, V. Mais si tu veux tout savoir, je suis convaincue que tu t'inquiètes pour rien.

Ils n'en dirent pas davantage, chacun plongé dans ses pensées.

Alors qu'il conduisait sa voiture dans le stationnement de la Guilde, Vivek réalisa qu'il se sentait plus léger. Le simple fait de formuler son inquiétude à haute voix lui avait permis d'entendre à quelle point cette idée, bien que légitime, était farfelue. Il ne serait jamais le projet de personne, il ne l'accepterait pas. En entrant dans l'ascenseur, il fut tenté de descendre dans ses anciens quartiers, mais il résista. Il n'avait plus besoin de se cacher, il était vraiment à quelques pas de ne plus être un poids pour personne, jamais.