Chapitre 46

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Tout le long du trajet jusqu'à l'arrivée au building, Tao n'adresse pas un mot à ses accompagnants. Zhan l'observe converser en italien avec son interlocuteur téléphonique, du coin de l'œil. Certes, Mei et lui ne sont présents que pour faire joli, ce soir, mais tout de même. Il l'aurait imaginé les sermonner de son propre chef au lieu de laisser ses hommes de main s'en charger. Les règles : ne pas parler, seuls les murmures sont autorisés ; ne pas quitter le boss, à moins d'en recevoir l'ordre ; ne pas échanger avec les inconnus – comme s'ils avaient réellement l'intention de risquer leur identité en communiquant.

Mei est angoissée. Elle se triture les doigts sur les cuisses. Son masque ne dissimule pas ses craintes.

Lorsqu'ils arrivent dans le hall d'entrée, l'acteur grimace.

— Bonsoir, darling.

— Chris.

Froid comme une tombe, Zhan emprunte l'ascenseur à la suite de Tao sans un regard pour son bras droit. Malheureusement pour Mei, c'est elle qui hérite de l'attention du coureur de jupons, et son caractère soumis la pousse à rester docile. Zhan lâche un profond soupir exaspéré. Les profiteurs de son genre se donnent belle allure, mais ne sont rien d'autre que des prédateurs. Jouer avant de toucher. Le jeu est ce qui les intéresse le plus, au final. Chris sera vite ennuyé avec la jeune femme, trop facile à dompter – une bonne nouvelle pour elle.

Les étages défilent sous leurs pieds dans la capsule, entièrement faite de verre. La montée est vertigineuse vers le sommet du gratte-ciel. La vue nocturne sur la ville et ses édifices lumineux est splendide, mais mieux ne pas craindre la hauteur.

Comme l'imaginait Zhan, la porte s'ouvre sur une immense salle aux baies vitrées étincelantes. L'ambiance lounge est très sophistiquée, chic et glamour à la fois. L'atmosphère cotonneuse, plongée dans une légère pénombre agréable, n'est pas sans rappeler un night-club de luxe, ouvert sur une gigantesque terrasse. En avançant sur les lieux aux côtés de Tao, les deux accompagnants s'adressent un petit rictus discret, en soutien.

Ici, même les serveurs et leurs plateaux miroitants portent des costumes de haute couture. Véritable étalage de richesse. Au milieu de toutes ces femmes aux tenues provocantes, Mei en devient invisible, malgré sa robe avantageuse. Seuls les plus puissants sont au centre des festivités.

Jusqu'à ce que l'arrivée de Tao soit remarquée. Là, il est celui qui les captive tous. De nombreuses têtes s'illuminent d'une joie frileuse ou hypocrite, sur son passage ; des êtres inférieurs, indignes de recevoir son attention, pas même un instant. Dans son costume satiné, d'un gris iridescent, il appose une main précieuse sur la hauteur bombée de ses cheveux opalins. Le menton altier et le regard placide, il poursuit sa route jusqu'à l'immense toit sans s'attarder sur ceux qui s'écartent sur son chemin. Si auparavant Zhan avait pu se sentir mal à l'aise face à cette caste arrogante, à présent, il n'en est rien. Leur maître représente visiblement l'un des pouvoirs ultimes en ces lieux.

Lorsque Tao rencontre enfin ses égaux, il retrouve son sourire affable. Le reste du monde n'est qu'une fourmilière. Les deux accompagnants se font foudroyer du regard par les gardes. Une piqûre de rappel qui leur clôt la bouche avant même qu'ils n'aient eu le réflexe de prononcer un mot.

Un groupe d'hommes entre quarante et cinquante ans, tous plus âgés que Tao, l'accaparent. Des étrangers, Occidentaux comme Asiatiques. Politesses et légèretés échangées, place au business. Les affaires se discutent en anglais, bien vites ennuyantes à suivre. À la merci du froid, la morsure de la nuit fait frissonner Mei. Toujours aussi prévenant, Zhan ôte tout naturellement sa veste bordeaux et la dépose sur ses épaules dénudées. En voyant ses hommes déporter leur attention sur lui, Tao se retourne vers eux. Son regard de marbre rencontre celui de Zhan, interdit. A-t-il fait quelque chose de mal dans cette simple galanterie ? Il frémit sous la noirceur de son œil sombre ; ce soir, sans qu'il n'en connaisse les raisons, Tao est particulièrement tendu.

Derrière le masque Ω (𝑦𝑖𝑧ℎ𝑎𝑛)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant