Chapitre 57

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09h55.

Premier jour d'automne 2021 et dernier jour de congés. Yibo laisse traîner un regard morne sur la Seine. Si cette ville a un jour été celle de l'amour, ce temps appartient à un lointain passé – les parisiens sont à son image, moroses et acariâtres. Et Dieu merci ! Subir une atmosphère de romance au quotidien pendant deux semaines aurait été un enfer.

Trois longues années à cumuler les voyages pour arpenter la capitale, ses lieux célèbres et ses rues. En vain. Bien entendu, il pourrait se trouver n'importe où dans ce pays, ou un autre –un sauvetage n'a pas pour but une destination de vacances. Quel genre d'espérance l'anime depuis le début ? Bonne question. Si son ami avait voulu le retrouver, il lui aurait laissé (ou fait parvenir) un indice ; au mieux, il l'aurait contacté d'une manière ou d'une autre, une fois en sécurité. S'est-il produit quelque chose de mal ? Il ne doit pas être négatif. Peut-être, par un insolent coup du hasard, finira-t-il par le croiser à la terrasse d'un café ? aux bras de sa nouvelle histoire ? Un négatif qui lui conviendrait toutefois. L'amour ne voit que le bonheur de l'autre.

Mais la plus grande vérité est que Paris n'est pas la France, et qu'à son échelle d'étranger esseulé, les chances de retrouver une personne qui se cache sont inexistantes. Ne pas avoir d'espoir ne retire pas le rêve, même s'il implique de se torturer.

Dire qu'il se fichait de l'art... les toiles des musées parisiens n'ont désormais plus aucun secret pour lui. L'exposition de Van Gogh notamment – comment être au plus près de son amour, sans parvenir à le toucher ...

La caresse du soleil sur sa peau a perdu ses saveurs. Son rayon de soleil, on lui a retiré il y a longtemps. Demain, il sera à Taïwan. Il en profitera pour fouiller les lieux. Même si le pays est proche de la Chine, et donc du danger, il est indépendant et reste le plus accueillant d'Asie. Yibo secoue la tête. Pourquoi son premier choix de recherches a-t-il été Paris, d'ailleurs ? Ce n'était qu'une idée en l'air, ce fameux dimanche matin de juin. Oui, c'était ce matin-là...

Il sourit.

— Tu as décrété neuf heures comme étant l'heure parfaite pour te réveiller dans mes bras. Il ne te manquait plus que...

Son sourire s'envole, écarté par une pensée qui lui avait jusque-là échappé. Il regarde sa montre. Son avion décollera bientôt. Et pourtant...

Il sort son smartphone et pianote sur l'écran comme un fou. Trente secondes plus tard, il s'élance sur l'avenue. S'il est encore une fois à côté de la plaque, il est certain de fondre en larmes en public. Sur le trottoir d'en face, à l'angle d'un carrefour animé, un café. Son nom : Le Croissant de Lune. Pour la première fois depuis longtemps, Yibo sent son cœur s'emballer d'un nouvel espoir – qui, il est sûr, se fera balayer comme les autres.

Il pénètre dans le café typique, la tension au corps. Il exécute plusieurs rotations sur lui-même, fait un tour nerveux de la petite salle, sans succès.

Puis, un homme à lunettes rondes se révèle. Bonnet et mince col roulé noirs. De dos, seules les branches de ses lunettes rondes apparaissent. Il déglutit, fait un pas hésitant et s'arrête. Sa tasse de cappuccino aux bords des lèvres, son cher et tendre regarderait à travers la fenêtre, égaré dans mille et une rêveries, derrière ses fines lunettes.

Lorsqu'il ose enfin l'approcher, l'inconnu tourne la tête pour réclamer sa note. Yibo en reste bé. La déception est cinglante. L'espoir retombe, la douleur qui l'accompagne est à la hauteur de son espérance ; implacable. Un rapide coup d'œil sur la terrasse, juste le temps de distinguer les quelques parisiens solitaires, plongés dans leur quotidien. Comme prévu, la désillusion l'achève. Il se décompose.

Derrière le masque Ω (𝑦𝑖𝑧ℎ𝑎𝑛)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant