Dissensium

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A vingt-deux ans, Hermione Granger était une femme comblée. La Guerre était terminée, bien que toujours aussi fraîche dans les mémoires. Cela faisait à présent plus de quatre ans que Lord Voldemort était tombé, vaincu par le courage de son meilleur ami, Harry Potter. Le monde de la magie britannique peinait à se relever, mais le soulagement s'était répandu. Il ne reviendrait plus. Bien sûr, le compte des morts avait été particulièrement douloureux. Les souvenirs de Fred, de Remus, de Tonks – entre autres – les hantaient toujours. Tant de victimes pour un monde meilleur...

Harry avait immédiatement intégré le Bureau des Aurors, à dix-sept ans, devenant ainsi le plus jeune Auror du Ministère de la Magie. Sa réputation, son courage et son talent n'étaient plus à refaire. Quant à Ron, il avait d'abord remplacé son frère disparu auprès de George dans la boutique de farces et attrapes, avant de devenir à son tour Auror cette année. Hermione avait d'abord retrouvé ses parents en Australie pour leur rendre la mémoire, puis elle s'était replongée avec passion dans les études pour passer ses ASPIC en candidat libre, avec succès. Par la suite, elle avait travaillé au ministère, d'abord au Département de la coopération magique internationale, jusqu'à sa mutation quelques semaines auparavant, au département des Mystères. Elle ambitionnait de rejoindre un jour le département des Lois magiques, mais pour le moment, elle aimait son nouvel emploi, et on y avait besoin d'elle et de sa soif de connaissances. Sa principale mission était de comprendre l'essence de la création des sortilèges.

Non contente d'être comblée sur le plan professionnel, elle l'était également en matière de vie sentimentale. Son idylle avec Ron avait enfin véritablement débuté après la fin de la Guerre. La bague toute neuve qu'elle arborait à son doigt, marquait l'engagement qu'ils avaient pris tous les deux. Les fiançailles avaient eu lieu le mois précédent. « Pas trop tôt ! » s'était exclamée Ginny. Mais Hermione n'était pas pressée. Ils avaient toute la vie, pensait-elle, même si Harry et Ginny s'étaient déjà mariés. Oui vraiment, Hermione Granger – bientôt Weasley – avait tout pour être heureuse.

Ce lundi matin-là, elle se rendit au travail comme à son habitude. Elle avait laissé Ron sur le pas de l'ascenseur, après l'avoir salué d'un léger baiser. Alors qu'elle avançait vers le département le plus secret du Ministère, elle croisa une de ses collègues, également Langue-de-Plomb.

« Bonjour Hermione !
- Salut Audrey. As-tu passé un bon week-end ? »

Audrey était la femme de Percy Weasley, et donc une de ses – nombreuses – belles-sœurs. Hermione s'entendait bien avec elle. La jeune femme, toute en blondeur et de trois ans son aînée, partageait son sérieux et son goût pour le travail et la découverte. Cette dernière qualité était sans conteste un atout de taille au département des Mystères.

« Oui, merveilleux, je te remercie. Et toi ?
- Oui, nous sommes allés chez Harry et Ginny. Ils te passent le bonjour, et viendront vous voir à l'occasion. »

Audrey esquissa un sourire bienveillant. Si Percy s'était définitivement réconcilié avec sa famille, elle n'y était pas étrangère. Alors qu'elles approchaient de la porte lisse au fond du couloir, comme tous les matins, Hermione esquissa un léger sourire triste en repensant à ses seize ans lorsqu'elle avait traversé cette même porte pour arracher la prophétie. Ce n'était pas un souvenir particulièrement heureux, puisqu'ils y avaient perdu Sirius, mais cela faisait désormais partie de leur jeunesse. Lorsqu'elles entrèrent, les deux femmes pointèrent leur baguette sur une porte au hasard, après que les bandes de lumières bleues se furent imprimées dans leurs yeux. Au contact du bois, un outil d'identification faciale descendit du plafond. Seuls les employés de ce département pouvaient l'activer puisqu'il fallait que la baguette magique soit elle-même reconnue par la porte. Une fois qu'Hermione et Audrey furent identifiées par l'appareil magique, une porte s'ouvrit et elles s'engouffrèrent à l'intérieur, dans un long couloir.

Une quinzaine de pièces s'alignaient ainsi, chacune accueillant le bureau d'un Langue-de-Plomb. Des notes en papier voltigeaient entre elles. Hermione entra dans son cabinet et vit qu'un parchemin soigneusement plié l'attendait sur son plan de travail, comme souvent. Elle le prit, contourna son bureau et s'installa dans son siège. Après avoir effectué ses tâches quotidiennes, elle se leva pour se rendre dans la Salle du Temps où elle était envoyée examiner un objet magique. Aux yeux d'Hermione, c'était l'une des pièces les plus terrifiantes du département des mystères, si l'on exceptait peut-être la Salle de la Mort où trônait l'arcade au voile déchiré.

En effet, elle savait qu'on ne devait pas sous-estimer le pouvoir du Temps. Même si elle ne s'était rendue que deux fois dans cette salle, ses principales recherches ayant lieu dans la Salle des Sortilèges, elle ne pouvait nier qu'elle comprenait pourquoi ceux qui y accédaient étaient triés sur le volet... Maîtriser le Temps signifiait maîtriser la Mort, et bien plus encore. Quand elle avait passé son entretien, le directeur l'avait mise en garde : ici, pas de place pour le rationalisme borné. Hermione avait du renoncer à son entêtement. Ici, tout était possible, ou en tout cas, tout semblait l'être. Cela la poussait à se remettre en question et c'était une expérience bénéfique, enrichissante et... troublante. Cela avait beaucoup fait rire Ron, quand elle le lui avait expliqué à demi-mot.

Sortant du Couloir aux Bureaux, elle retourna dans le vestibule. Une fois de plus, elle toucha une porte du bout de sa baguette et formula sa destination, après avoir été de nouveau testée. La sécurité avait été renforcée depuis la chute de Voldemort, car les objets d'étude ici étaient particulièrement dangereux. L'épisode de la Salle des Prophéties en 1996 avait laissé des traces. Il était vrai que des adolescents avaient été capables de s'introduire ici en pleine nuit, sans aide particulière... Il n'était pas nécessaire de tenter un potentiel futur mage noir. Une nouvelle porte s'ouvrit, et Hermione s'y engouffra.

La Salle du Temps était une pièce magnifique, malgré la légère crainte qu'Hermione y éprouvait chaque fois qu'elle s'y rendait. Des portes de bureaux s'alignaient sur un côté de la salle, inutilisés depuis qu'on avait installés les employés dans un couloir spécifique, celui que la jeune femme venait de quitter. Elle salua deux vieux collègues penchés sur la cloche de cristal du Temps pour tenter d'y apporter des modifications afin d'en étendre le pouvoir. Le souvenir du Mangemort à tête de bébé hanta son esprit, et elle entreprit de le chasser avec exaspération. Ce qu'elle avait à faire était suffisamment délicat, il était hors de question qu'elle se déconcentre.

Elle s'approcha de la dernière découverte, faite par des érudits du département. Il s'agissait d'un sablier très semblable à un Retourneur de Temps, si ce n'est qu'à la place du sable habituel, on y trouvait un liquide transparent, semblable à de l'eau. Hermione ouvrit la porte du seul bureau qu'on avait dégagé pour examiner les dernières inventions. Il y avait une simple table en bois et trois chaises. S'installant sur l'une d'elles, elle entreprit d'examiner l'objet en détail. Elle devait essayer de déterminer pourquoi il ne fonctionnait que par intermittence, empêchant aléatoirement certains départs ou retours dans le temps. Un collègue, spécialiste des potions, n'avait décelé aucune anomalie et il soupçonnait que le problème provenait du sortilège utilisé.

Par mesure de sécurité, il ne fallait le programmer que de quelques minutes. C'était d'ailleurs la possibilité d'une telle précision qui en faisait la nouveauté. La potion de couleur translucide qui baignait dans le sablier était une découverte récente, qui permettait d'établir exactement l'année, le mois, le jour, l'heure, et même la minute à laquelle on voulait se rendre. Pour cela, il fallait utiliser un sort, qu'Hermione utilisa avant toute chose.

Tandis qu'elle l'examinait en marmonnant des formules compliquées, Hermione songea que cet objet était incroyablement dangereux. On pouvait changer le cours des choses à cause de lui, pour le mieux comme pour le pire. Surtout pour le pire. Jusqu'où pouvait-on aller au nom de la connaissance ? Où se trouvait la limite à ne pas franchir entre ce qui était possible et ce qui était éthique ? Cette invention restait ultra secrète pour cette raison. Imaginez les conséquences si cela parvenait entre les mains d'une personne mal intentionnées ! Hermione était l'une des privilégiées qui fût autorisée à toucher ce sablier, ayant prouvé qu'elle était digne de confiance. Et puis, il fallait avouer qu'elle aimait ce type de défi. Elle aimait repousser les limites de sa connaissance et de son intelligence, même quand les risques existaient.

Alors qu'elle jetait un sort d'examen supplémentaire, elle vit l'objet briller. Que se passait-il ? Elle n'avait pas lancé de sort d'activation une seule fois. Comment le sablier pouvait-il fonctionner de lui-même ? La lumière blanche qui émanait de la potion gagna progressivement en intensité et illumina l'ensemble de la pièce. Abasourdie, Hermione tenta d'arrêter le mécanisme avec sa baguette. Sans succès. L'éclat l'aveugla et sembla l'aspirer toute entière. Par réflexe, elle tenta de se tenir à la table. A la place, elle toucha le Retourneur de Temps. Il y eut une explosion de lumière, puis plus rien.

Lorsque les sorciers qui étaient dans la Salle du Temps entrèrent, alertés par la lumière qui avait illuminé le petit bureau un instant, ils découvrirent une chaise renversée et une pièce entièrement vide.

Le Temps, cet InconnuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant