Assurdiato

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« La rumeur publique est plus forte que toutes les puissances de ce monde. »

{Gilles Vigneault}

L'air glacé lui fit du bien. Tom se tint un long moment ainsi, les yeux clos, debout dans le parc du château de Durmstrang. Ses pensées s'entrechoquaient dans son esprit, mais il était incapable de les saisir au vol pour les analyser. Le froid les effaça une à une, mais le vide qu'il ressentait dans son buste ne disparaissait pas. Lorsque les frissons se firent plus violents, faisant vibrer sa mâchoire, il ouvrit enfin les yeux. Les milliers d'étoiles qui brillaient dans le ciel se reflétaient dans l'immense lac. Cela ramena Tom, malgré lui, au souvenir de cette soirée à Beauxbâtons, exactement une semaine plus tôt. Le visage d'Hermione s'ancra dans son esprit, contre son gré.

Pour quelqu'un qui se targuait de ne rien ressentir, il en était pour ses frais. Lorsque Miss Jean l'avait entraîné sur la piste, il n'avait pas été capable de découvrir sa motivation. Ne s'était-elle pas fâchée contre lui, il y avait quelques heures de cela ? N'était-elle pas froide et méfiante, quelques semaines plus tôt ? N'était-elle pas dévouée à Morovitch, qui espérait sans doute finir chanceux ce soir-là ? Alors il avait fait quelque chose qui ne lui arrivait jamais. Il avait cessé de réfléchir.

Avant cette soirée, il aurait été incapable d'affirmer avec sincérité qu'il savait valser. Il en connaissait les notions, oui, comme tous les jeunes de son âge. Mais faute de pratique, il aurait tout aussi pu se montrer incapable de tenir la mesure, sachant qu'il ne pouvait pas compter sur sa partenaire. Il avait vu la jeune femme danser avec Morovitch un peu plus tôt et il était clair qu'elle n'avait aucun sens du rythme. Pourtant, leur tempo avait été impeccable et Tom avait fait tournoyer l'ex-Gryffondor sans effort. Dans ses bras, loin de s'abandonner, elle accompagnait le moindre de ses pas, sans qu'ils n'aient besoin de se concerter d'un regard. Le monde autour d'eux n'existait plus. Seules comptaient la musique et l'union de leurs corps dans cette danse, une main au creux de son dos et l'autre enfermant la sienne. Ils ne faisaient plus qu'un. Il ne se souvenait pas de la dernière fois qu'il avait été aussi proche, physiquement, d'une autre personne. Ou bien était-ce la première fois ?

C'est alors qu'elle avait soufflé son prénom. Ce nom maudit, que lui avait légué son Moldu de père, ne semblait plus aussi terrible sur ses lèvres. Peut-être qu'il pourrait le tolérer. Il l'avait regardée à ce moment. Non, elle n'était pas ce qu'on pourrait appeler une belle femme, affirma-t-il en son for intérieur. Pourtant, la forme de ses yeux, leur couleur chocolat au lait, ses longs cils, ses lèvres à peine pulpeuses, son petit nez droit, tout lui était devenu familier en si peu de temps. Et pour une fois, dans ses prunelles, il vit autre chose que la froideur, la colère, le reproche ou même la curiosité. Il y avait une lueur qu'il ne lui connaissait pas et qu'il serait incapable d'interpréter.

Et c'est au moment où elle avait à nouveau ouvert la bouche que la réalité avait refait surface. Bien sûr. Elle l'avait entraîné ici, au milieu de cette pièce pleine de témoins, pour parler de Tillman. Cette idiote de Serdaigle. Pourquoi Hermione s'en préoccupait-elle ? La déception s'insinuait dans ses veines. Il lui avait affirmé qu'il ne savait rien, mais il avait lu dans ses yeux qu'elle ne le croyait pas. Elle avait raison bien sûr, mais il se sentit vexé et même... blessé ? Heureusement, la musique avait pris fin à ce moment-là. Avec urgence et à contrecoeur, il l'avait laissée, non sans l'avoir saluée dans les formes, comme tout gentleman, s'était-il convaincu. Et c'est ainsi qu'il s'était retrouvé à l'extérieur, dans le parc de Durmstrang, à endurer le froid salutaire.

Au bout de ce qui lui sembla être une éternité, Tom Jedusor rentra au château, en direction de sa chambre. Il ne jeta pas un seul regard en direction de la salle de réception où la fête continuait de battre son plein. Hermione Jean était sans doute retournée auprès de Morovitch. Grand bien lui fasse. Voldemort ne s'intéressait à elle que pour percer le mystère de son identité et ensuite, à n'en pas douter, il l'exécuterait, se persuada-t-il. Elle influait beaucoup trop sur son humeur pour continuer à vivre. Il ignora royalement le doute qui naissait en lui.

Le Temps, cet InconnuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant