Chapitre 8 Le clan

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1957, 12 avril

L'enfant dormait toujours, allongée sur la terre froide de la crypte dissimulée sous la partie la plus ancienne de l'église de Cramond. Aloïs l'avait enfermée là avec une petite lampe tempête pour seule compagnie. Etha trouvait cela cruel. La petite était si jeune encore. Elle aurait peur à son réveil. Aloïs n'en avait cure. La fillette devait mourir de toute façon. Elle était la fille de la Letiferus, son héritière. Elle devait donc disparaître comme sa mère.

Aloïs trouvait qu'Etha avait le cœur trop tendre et l'aurait sans doute renvoyée à la Cour d'Irlande si son pouvoir ne lui avait pas été si utile. Car la jeune sorcière sans grande expérience, élevée dès son plus jeune âge auprès de Dame Isha O'Leary, possédait un don unique et très recherché.

Elle pouvait voyager en l'espace de quelques secondes d'un endroit à un autre. Par simple contact, elle pouvait emmener d'autres personnes ou des objets avec elle. Cela ne lui demandait pas d'effort particulier, juste de visualiser l'endroit où elle souhaitait aller. Une simple carte géographique suffisait. Pour ce qui concernait les déplacements physiques tout du moins. Ce que peu de personnes savait, c'était qu'Etha était également capable de voyager dans les esprits.

Comme dans un musée, elle déambulait sans pouvoir intervenir sur ce qu'elle voyait, sur ce qui occupait les pensées du propriétaire. Même si cette capacité aurait pu lui permettre de soutirer des informations pour elle-même ou sa souveraine, elle préférait ne pas s'en servir et ne pas en révéler l'existence.

Néanmoins, c'était grâce à cette particularité de son don qu'elle avait découvert les limbes. Plus exactement, en se plongeant dans l'esprit d'un être cher à l'agonie. Elle l'avait accompagné jusqu'à cet endroit étrange où le paysage semblait avoir perdu les couleurs de la vie. Etha y avait senti le danger d'y rester trop longtemps. Elle avait frémi devant les portails, immenses et imposants qui menaient vers des espaces à peine visibles, nimbés de brumes et de silence.

Depuis, elle y était revenue quelques fois. Pour voir. Sans arrière-pensée. Elle n'y était jamais vraiment la bienvenue et n'y restait jamais très longtemps. Les esprits qui peuplaient l'endroit finissaient toujours par tenter de la chasser, et elle ne se faisait jamais prier.

Son don la rendait donc particulièrement sensible aux fluctuations des consciences qui l'environnaient. Dans la situation présente, seuls les deux sorcier écossais : Sia Howard et Dougal MacIntosh, avaient l'esprit ouvert. Ceux de la Cour d'Irlande utilisaient un sort pour dissimuler leurs pensées. Bethani Boyle, Ethan Kearney, Ian Daley, Maureen O'Brien vivaient à l'ombre d'une souveraine télépathe. Quant à Aloïs Walsh, elle refoulait tout intrusion avec des sorts bien trop puissants et douloureux. Toutefois, elle ne protégeait pas l'esprit de son hôte. Etha avait donc eu la surprise de le percevoir même faiblement. Elle s'était cependant abstenue d'aller plus loin. Elle ne souhaitait pas visiter les visions d'un être désespéré d'avoir perdu la partie contre Aloïs.

Les membres du Cercle étaient réunis dans l'église. Ils organisaient leur plan d'action, s'attendant à une intrusion des créatures. Des rituels étaient mis en place pour protéger l'édifice le temps nécessaire à l'élimination du Letiferus. Etha ne participait pas. Elle ne faisait pas partie du Cercle. Elle n'était qu'un moyen.

Ce sachant indispensable tout en étant tenue hors du complot, elle avait délibérément désobéi. Elle se tenait dans la pénombre non loin de Brune. Elle veillait sur son sommeil, lui envoyait des rêves agréables pour qu'elle ne se réveille pas trop tôt. Le mieux aurait été qu'elle ne se réveille pas du tout, qu'elle n'assiste pas à l'exécution de sa mère, ni aux combats qui allaient fatalement s'ensuivre.

Etha soupira. La fébrilité ambiante s'était accrue au-dessus. Un événement avait augmenté le degré d'alarme des sept sorciers. Etha se força à aller voir. Elle serait peut-être utile finalement.

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