Chapitre 10 Le sacrifice

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1957, 12 avril

La crypte était lumineuse. De larges bougies avaient été installées sur les gisants qui occupaient tous les murs, sur le sol et jusque dans l'escalier, ne laissant qu'un étroit passage pour ceux qui voulaient l'emprunter. L'ensemble aurait pu donner un petit air de merveilleux à cet endroit d'ordinaire froid, obscur et silencieux, s'il n'y avait eu le corps de Brune allongé sur le sol, et disposés près d'elle, les instruments d'un rituel où le sang avait manifestement une place prépondérante.

Ici, en des temps anciens, de puissants sorciers avaient été enterrés en secret, conférant au lieu une intense aura de magie perdue. Peu de membres de la communauté connaissait l'existence de cet endroit. Et encore moins aurait eu le courage d'en franchir le seuil. Il y avait de l'irrévérence à le profaner. De l'irrévérence et de la cupidité. Deux principes dont ne manquait pas Aloïs. En fait, se considérant comme le plus ancien esprit sorcier encore vivant, elle estimait avoir le droit d'être là et de réclamer sa part.

Pour être tout à fait claire, elle avait surtout besoin de l'énergie latente enfermée dans cet antre humide et oublié pour mener à bien sa mission et tuer ses ennemis. Il s'agissait de mettre toutes les chances de son côté. Elle ignorait quelle créature viendrait à la suite de la Letiferus, mais il ne faisait aucun doute cependant qu'il en viendrait au moins une, sinon plusieurs. Au cours des siècles et de ses multiples vies, Aloïs avait appris à ne pas sous-estimer l'ennemi. Jamais.

Le rituel demandait le sang d'une âme innocente, d'un cœur pur. Aloïs n'aurait pu espérer mieux que l'enfant qui gisait là, inconsciente. La sorcière jeta un œil à la petite fille, petit corps encore enveloppé de la chemise de nuit dans laquelle elle avait été enlevée, pieds nus, le visage auréolé de cheveux blonds, le visage un peu sale mais paisible. Elle était parfaite.

Le froissement d'une étoffe lui indiqua qu'Etha avait enfin apporter le récipient sacrificiel. Aloïs sentit le regard réprobateur de la jeune sorcière dans son dos. Elle n'en avait que faire pour le moment mais elle s'en souviendrait lorsque toute cette histoire serait finie. Elle comptait bien en toucher deux mots à la souveraine d'Irlande. Dame Isha O'Leary ne pouvait tolérer qu'une telle sorcière, une sorcière dont le don lui était si indispensable, ne lui obéisse pas aveuglément. C'était un risque trop grand. La voyageuse devait être une ombre soumise. Rien d'autre.

Il suffirait peut-être de lui faire comprendre. Etha à cause de son jeune âge, ne pouvait réellement concevoir ce qui se jouait ici. Elle ignorait tant de choses. Pour elle, ça n'était qu'un combat de plus contre l'ennemi. Alors qu'il s'agissait DU combat. Celui qui devait donner un avantage définitif aux sorciers et débuter l'éradication des créatures, ces abominations que les anciens dieux eux-mêmes avaient réprouvés. Alors le sacrifice d'une enfant n'avait aucune importance. Aucune.

Contrairement à ce qu'Aloïs pensait, même en lui fournissant tous les arguments du monde, Etha ne serait jamais totalement soumise, car elle n'était pas simplement une voyageuse. Sa capacité à sentir et à voir les mouvements de l'esprit lui apportait une connaissance qui l'empêchait de n'être qu'une silhouette dans l'ombre de la souveraine.

En cet instant, la jeune sorcière était captivée par l'agitation des flux autour d'elle. Elle distinguait la magie des esprits sorciers troublée par les intrus qui souillaient leur sanctuaire de leur présence, mais aussi autre chose. Une aura différente, moins tourmentée.

Etha s'accroupit près de Brune et posa sa paume sur le sol de terre brute. Un corps avait été enterré sous la crypte. Seul mais puissant. Ça n'était pas un sorcier. Son esprit était différent. La peur de disparaître ne le hantait pas. Il était au-delà de ce genre de préossupation. Etha ressentit alors le danger à briser l'équilibre qui régnait ici. Déchaîner les flux allait sans doute entraîner le passeur au bord du gouffre, voire le tuer. L'enfant était donc en grand danger.

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